Artistes, réveillez-vous – Entretien avec Henok Mebratu
Henok Mebratu a une vue d’ensemble de l’industrie cinématographique éthiopienne. Il est réalisateur et producteur avec à son actif cinq longs métrages, plus de 20 documentaires et plusieurs émissions de télévision. Il a été sélectionné comme Talent émergent au Festival de Cannes en 2012 et a discuté de l’émergence du cinéma éthiopien à Berlinale Africa Hub en 2019. Au sein d’Action Media, il est spécialisé dans le soutien à la production pour les sociétés étrangères désirant travailler en Éthiopie et en Afrique. Le traitement des visas, les permis de tournage, le dédouanement des équipements de production, les préparatifs de voyage, les castings, le repérage, et le montage ne constituent qu’une partie des services qu’il offre. Son intérêt dépasse de loin l’état actuel de la réalisation cinématographique – les yeux de Mebratu sont fermement tournés vers l’avenir de la liberté d’expression dans son pays natal, que ce soit sur les écrans ou au-delà. Il n’est donc pas surprenant que la question de la liberté artistique lui tienne à cœur. À l’occasion de la 26e édition de la Journée mondiale de la liberté de la presse célébrée à Addis-Abeba, il a répondu à cinq questions qui nous donnent un aperçu de ce que signifie être un artiste en Éthiopie aujourd’hui, et des perspectives pour le futur.
Quelles sont les tendances encourageantes que vous observez dans l’industrie cinématographique éthiopienne en termes de liberté artistique et de diversité des contenus?
Je pense que nous sommes aujourd’hui dans une meilleure position pour les raisons suivantes. Il y a cinq ans, nous n’avions que trois chaînes de télévision alors qu’aujourd’hui, il existe plus de 15 chaînes privées qui diffusent des débats et des points de vue différents. Les chaînes de télévision qui étaient auparavant bloquées ont maintenant ouvert leur siège à Addis-Abeba. Les artistes obtiennent des postes clés dans les institutions artistiques, alors que seuls des cadres étaient nommés au cours du gouvernement précédent. Nous avons maintenant un accès Internet relativement fiable et non censuré. La censure des films au ministère de la Culture et du Tourisme a été levée.
Qu'est-ce qui constitue un obstacle majeur à l'expansion de la liberté artistique en Éthiopie en 2019?
L'instabilité de la paix (surtout en dehors d'Addis), les fausses informations sur les médias sociaux, l’extrémisme et le manque de primauté de droit sont devenus des menaces pour la liberté artistique. La plupart des gens ne sont pas conscients des responsabilités associées à la liberté. Les fausses informations se multiplient et il n’y a pas de mécanisme de contrôle en place. Il est difficile pour les plates-formes de médias sociaux telles que Facebook de les localiser, car la plupart des publications sont dans des langues locales telles que l'amharique et l’oromo qui ne sont pas maîtrisées par Facebook. Il y a 15 ans, il n'y avait pas un seul téléphone portable dans le pays. Maintenant, nous en avons plus de 65 millions! Un de nos grands défis est d’éduquer notre société aussi rapidement que la technologie se développe. Lorsqu’il y a une menace à la sécurité, le gouvernement bloque immédiatement Internet car il pense que c'est le seul moyen de contrôler la violence, ce qui à son tour met en danger la liberté d’expression. Il existe également des rumeurs crédibles selon lesquelles le gouvernement bloque toujours les extrémistes opposants.
Existe-t-il une initiative concernant la liberté artistique dans les pays voisins qui pourraient inspirer l’Éthiopie?
Je ne suis pas au courant des initiatives liées à la liberté artistique dans les pays voisins mais j’aimerais beaucoup en savoir plus sur elles dans le cas où il y en aurait.
Comment l’accès à Internet a-t-il influencé la liberté artistique en Éthiopie?
Avant la transition que nous avons eue il y a tout juste un an, les artistes n'exerçaient pas leur liberté sur Internet, car ils pouvaient facilement être identifiés par le gouvernement et ils pensaient qu’ils pourraient risquer l’emprisonnement. Ils se sont autocensurés pour la plupart. La plupart des gens utilisaient de faux comptes sur les médias sociaux pour s’exprimer librement.
Depuis la transition, des poèmes, des articles et autres formes d’art sont diffusés avec audace. Mais leur nombre n’est pas encore aussi important puisque la plupart des artistes du pays ont tendance à être traditionnels. En raison d'Internet, en particulier des médias sociaux, le pays fait face à un défi unique : les fausses informations sont devenues une source de conflit ethnique.
Si vous pouviez choisir un mot pour décrire l’état de la liberté artistique en Éthiopie aujourd’hui, qu’est-ce que ce serait et pourquoi?
Si je devais choisir un mot pour décrire la liberté artistique en Éthiopie aujourd’hui, ce serait NAISSANTE car les artistes ne se sont pas encore réveillés des traumatismes qu’ils ont vécus dans le passé récent et ils continuent à s’autocensurer.