
Moi, Magdalena, originaire du Soudan du Sud
cou_03_17_01.jpg

Le parcours de Magdalena − une jeune femme sud-soudanaise qui œuvre au sein du Réseau des jeunes défenseurs de la paix, le programme phare de l’Initiative Whitaker pour la paix et le développement − illustre le pouvoir qu’a la culture, dans les sociétés meurtries par les conflits, de construire des communautés apaisées et productives. Témoignage.
Par Magdalena Nandege
Je m’appelle Magdalena Nandege. J’ai 23 ans et je suis originaire du Soudan du Sud : du village de Homiri, dans le comté de Budi, qui compte environ 150 000 habitants. La plupart vivent de l’agriculture et de l’élevage, comme ma mère. Il y a dans le comté deux écoles secondaires et 11 écoles primaires, mais sans électricité. La population est à 85 % analphabète.
Je poursuis actuellement une formation de sage-femme à l’Institut des métiers de la santé de Torit, le chef-lieu de l’État d’Imotong. Sur les 37 inscrites à l’origine, il ne reste actuellement que 24 étudiantes, les autres ayant abandonné à cause de l’insécurité, de la pauvreté et de la pénurie de transports. J’ai choisi ce métier parce que je crois qu’il est important de prendre soin des femmes.
Les femmes sont les êtres humains les plus vulnérables du monde parce qu’elles donnent la vie. J’en ai fait moi-même l’expérience. En 2014, j’étais sur le point d’accoucher, quand je me suis retrouvée complètement seule, les infirmières et les sages-femmes s’étant mises en grève pour réclamer des salaires impayés. Des sages-femmes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont fini par me porter secours. J’ai compris ce jour-là qu’il fallait aider les femmes du Soudan du Sud pour combattre la mortalité maternelle.
Cette prise de conscience m’a aussi poussée à m’engager dans le Réseau des jeunes défenseurs de la paix (YPN) de l’Initiative Whitaker pour la paix et le développement (WPDI). J’ai rejoint le YPN en 2014 dès que j’en ai entendu parler au sein de l’Union des jeunes de l’Équatoria-Oriental, où je dirigeais la section Genre et société.
Grâce à ce programme, j’ai appris à œuvrer pour la paix en moi-même et auprès des jeunes de notre communauté, grâce aux techniques de gestion des conflits et de médiation, aux technologies de l’information et de la communication (TIC), à la méditation et à l’entrepreneuriat. Le but de cette formation est d’apaiser la violence et de promouvoir la paix et le développement. À l’issue des 250 heures de cours, j’ai été accréditée par la WPDI comme formatrice de formateurs, chargée de former les jeunes et de développer des activités dans les communautés reculées. Il s’agit de favoriser les processus de paix et le développement d’entreprises locales, en fournissant des services aux communautés et des emplois aux jeunes.
Le programme mis en œuvre en Équatoria-Oriental réunit 18 formateurs de formateurs et 156 jeunes des payams (communautés locales), âgés de 16 à 35 ans. Tous savent lire et écrire, ce qui est important, car le programme prévoit une présence sur les médias sociaux : nous pouvons ainsi nous entraider pour résoudre les conflits et gérer nos petites entreprises respectives.
Le programme m’a également donné assez de confiance en moi pour que je mette mes talents artistiques au service de cette juste cause. Le théâtre et les contes sont des moyens essentiels de diffuser des messages. Pour promouvoir la paix, je dois former des gens et dialoguer avec les communautés. Je me suis aperçue que lorsque les problèmes deviennent insurmontables, l’art offre une bonne réponse, à condition d’employer des mots que les gens peuvent comprendre, car l’art permet de distinguer le bien du mal.

Récemment, avec un groupe d’amis et de collègues du YPN, j’ai réalisé un petit film sur la violence exercée sur les femmes, sous le titre Magda & Boniface : mariages forcés. Comme nous n’avions pas les moyens d’acheter une caméra, nous avons filmé avec une tablette fournie par la WPDI. Il s’agit d’une fiction, qui s’inspire de situations réelles. Elle a été tournée en anglais, mais aussi en toposa, en arabe de Djouba et en arabe standard : chacun s’est exprimé dans sa langue. Les acteurs, dans l’ensemble, ne sont pas des professionnels. Les jeunes et les anciens de la communauté ont été réunis afin de trouver une solution à un mariage précoce forcé. Qu’ils aient accepté de jouer dans le film a été pour moi l’un des plus beaux moments du tournage.
Le film raconte l’histoire vraie d’une adolescente que sa famille veut marier contre son gré. On lui permet de défendre sa cause devant un conseil composé de sa famille et du reste de la communauté, et elle les convainc qu’une jeune femme doit pouvoir décider librement de son partenaire et de sa vie.
Le film a été partagé via Bluetooth avec les jeunes équipés de Smartphones, et inscrit parmi les activités de la WPDI. Nous ne l’avons pas encore présenté dans les écoles, mais nous l’avons projeté dans le cadre d’une formation des jeunes de notre communauté et leur réaction a été positive. Les élèves ont reconnu la nécessité d’encourager l’éducation des filles et de lutter contre les mariages forcés et précoces. J’espère pouvoir le présenter à un plus large public et continuer de réaliser d’autres films de ce genre, avec davantage de moyens.
Grâce aux études et à la formation que j’ai pu acquérir avec l’aide de la WPDI, de l’UNESCO et de l’ONU Femmes, j’ai aujourd’hui des compétences en construction de la paix, gestion des conflits, médiation, méditation, entrepreneuriat et lutte contre les violences sexistes. J’ai beaucoup appris sur la paix et les droits humains. Mais tout cela doit être traduit dans les langues que les gens parlent à la maison : je dois pouvoir les toucher au plus profond. Je pense que l’art peut faire beaucoup pour la paix au Soudan du Sud, bien plus que les longs discours. Il peut apporter aux populations des modèles positifs auxquels s’identifier, et les inciter à appliquer les principes de la paix et du développement durable. Il faut qu’il y ait plus d’art au Soudan du Sud, pour qu’il y ait plus de paix.
Lire également :
Enfants soldats: la vie devant soi, un entretien avec Forest Whitaker, Le Courrier de l’UNESCO, 2011-4