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Grand angle

Edward Norton : « L’histoire ne sera pas tendre avec ceux qui nient les faits »

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Edward Norton, Ambassadeur de bonne volonté des Nations Unies pour la biodiversité, à New York en 2010, lors d’une conférence de presse sur les dangers de la perte de biodiversité.

Le recul de la biodiversité met en jeu l’avenir même de l’humanité. Et pourtant, malgré les alertes répétées, la course au profit se poursuit et nos modes de vie restent inchangés. Infatigable défenseur de la planète, l’acteur et Ambassadeur de bonne volonté des Nations Unies pour la biodiversité Edward Norton plaide pour un changement de cap.

Propos recueillis par Mila Ibrahimova
UNESCO

Un million d’espèces d’animaux et de plantes sont menacées d'extinction. Que ressentez-vous personnellement face à cette catastrophe annoncée ?

Je ressens de la consternation et de la colère. En fait, la question devrait être : « Que ressentez-vous devant cette menace d’extinction massive provoquée par l’activité humaine ? » On ne peut qu’être consterné par l’ampleur et la violence des ravages que nous causons aux autres êtres vivants.

Et pourtant, bien que ce soit un fait désormais établi scientifiquement, nous ne changeons rien à nos habitudes. Alors que la stabilité de notre mode de vie et de nos économies est en jeu, la grande majorité des industries continuent la course à l’abîme pour leurs profits à court terme. Cela revient à dire : « Je ne serai plus là, vous non plus, alors maximisons nos revenus à court terme et laissons le problème à nos petits-enfants… » Cette attitude me met en colère ! L’histoire ne sera pas tendre avec ceux qui nient les faits au nom de leur profit personnel.

Qu’avez-vous appris de votre engagement en faveur de la biodiversité ?

La biodiversité ne se résume pas à des données chiffrées. J’aime la qualifier de « richesse de la vie », parce que cela renvoie à la fois la valeur spirituelle, pour chacun d’entre nous, de la trame merveilleusement complexe de la vie sur cette planète ‒ le véritable miracle des formes sauvages de vie ‒, et au fait que toute notre économie dépend d’une biodiversité en bonne santé.

Toute notre économie dépend d’une biodiversité en bonne santé

J’aime l’exemple des abeilles et des papillons. Même si on investissait des milliards de dollars dans une technologie humaine capable de polliniser nos cultures, nous ne pourrions pas reproduire ce que les pollinisateurs accomplissent gratuitement pour nous. Mais nous préférons laisser l’industrie chimique produire des pesticides qui provoquent l’effondrement de leurs populations. C’est un suicide, tant sur le plan économique que sur celui de notre sécurité alimentaire.

Les plus pauvres de la planète sont les plus exposés au changement climatique et à ses conséquences. À titre personnel, avez-vous été témoin de l’impact du changement climatique et de la perte de biodiversité ?

Oui, dans bien des endroits et de bien des façons. Les éleveurs et les agriculteurs d’Afrique subsaharienne, où j’ai passé beaucoup de temps, sont confrontés à des cycles de plus en plus intenses de sécheresse et d’inondations directement liés au réchauffement climatique et au défrichement des forêts. Dans des zones comme le Triangle de corail en Indonésie ‒ où mon père a longtemps travaillé pour The Nature Conservancy ‒, la surpêche détruit les moyens de subsistance de nombreuses communautés pauvres. Même chose en Afrique de l’Ouest. Or cette aggravation de l’insécurité alimentaire due à la surpêche entraîne une augmentation de l’abattage d’animaux sauvages. Cela conduit directement à une plus grande exposition aux zoonoses, ces maladies qui se transmettent des animaux à l’homme et qui, comme nous le savons désormais, peuvent toucher chacun d’entre nous.

L’une de vos priorités en tant qu’Ambassadeur de bonne volonté des Nations Unies pour la biodiversité est d’attirer l’attention sur le fait que le bien-être humain est indissociable de la biodiversité. Avez-vous le sentiment d’être entendu ?

Il est parfois très frustrant de sentir que des voix s’élèvent avec force partout dans le monde sur ces questions, mais que la volonté politique est entravée par des industries solidement établies qui freinent les changements stratégiques nécessaires.

Je n’évalue pas vraiment le succès de la sensibilisation à l’aune de mes actions. Je pense plutôt faire partie d’un chœur générationnel qui s’efforce d’en faire le sujet majeur de notre époque. Et je pense que la prise de conscience et l’inquiétude augmentent à chaque nouvelle génération.

Quelles ont été vos plus grandes réussites en matière de sensibilisation ?

J’estime que j’ai réussi lorsqu’une chose sur laquelle je travaille depuis de longues années, comme le projet de puits de carbone des forêts de Chyulu, au Kenya, trouve sa réalisation. Il nous a fallu plus de six ans d’efforts pour que ce projet, qui est le fruit d’un partenariat entre le Maasai Wilderness Conservation Trust et Conservation International, obtienne le label REDD+/VCS*, avec près de 650 000 tonnes de compensation carbone par an. Maintenant, nous vendons ces crédits pour financer la conservation et le développement des communautés. C’est une réussite tangible.

Vous avez parcouru le monde pour alerter sur la nécessité de rendre nos modes de vie compatibles avec le respect de la planète. Que vous ont appris toutes ces rencontres ?

Elles m’ont montré que c’est un défi dont la compréhension transcende les frontières culturelles, raciales, économiques et religieuses. C’est un défi qui les transcende et qui nous unit. J’ai de jeunes amis massaïs au Kenya qui sont tout aussi passionnés par ce sujet que mes amis indonésiens ou américains. C’est pour moi une source d’espoir.

Le respect de la planète est un défi qui transcende les frontières

Le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) constate qu’au rythme actuel les objectifs de conservation de la nature ne seront pas atteints. De quelle manière peut-on changer de cap ?

Nos dirigeants doivent cesser de s’attribuer le mérite de mesures progressives qui n’ont, au bout du compte, aucune pertinence. Nous avons besoin d’une politique économique qui fasse porter le coût social massif du carbone et de la dégradation de l’environnement sous toutes ses formes sur les vrais responsables. Tant que nous continuerons de socialiser ces coûts sans faire supporter au « marché libre » les coûts réels de son activité, les pratiques non durables se poursuivront.

Quelle vision avez-vous de l’avenir ?

Je l’envisage sous un jour plutôt sombre, mais nous devons rester déterminés. Je pense aussi que l’ingéniosité humaine a trouvé à maintes reprises des solutions à des problèmes complexes, souvent au moment où on s’y attendait le moins. Nous pouvons donc y arriver.

 

*REDD+ atteste des efforts des pays pour réduire les émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts, et pour encourager la conservation, la gestion durable des forêts et le renforcement des stocks de carbone forestier. La norme Verra ou VCS (Verified Carbon Standard) est une norme de certification des réductions d’émissions de carbone.

 

L’UNESCO et Guerlain défendent la biodiversité : voir le programme Des femmes pour les abeilles.

Lectures complémentaires :

Défis climatiques, défis éthiques, Le Courrier de l'UNESCO, juillet-septembre 2019
Bienvenue dans l'anthropocène ! Le Courrier de l'UNESCO, avril-juin 2018
Changement climatique : où va-t-on ? Le Courrier de l'UNESCO, décembre 2009
L'homme et la nature : vivre en harmonie, Le Courrier de l'UNESCO, juin 2009
Biodiversité : la vie en partage, Le Courrier de l'UNESCO, mai 2000

 

 

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