
Repenser nos futurs ensemble
Préoccupation croissante pour les questions environnementales, montée en puissance de l’intelligence artificielle et des technologies numériques, recul de la gouvernance démocratique : face à un monde en mutation, l’éducation a un rôle clé à jouer. Fruit d’un processus mondial de réflexion collective qui a duré deux ans, le rapport Repenser nos futurs ensemble, un nouveau contrat social pour l’éducation, dresse un état des lieux et jette les bases d’un nouveau contrat social en faveur de l’éducation en formulant une série de recommandations.
Notre monde est à un tournant. Nous savons déjà que la connaissance et l’apprentissage sont indispensables à la transformation et au renouvellement de nos sociétés. Pourtant, les disparités observées à l’échelle mondiale – tout comme le besoin pressant de redéfinir le sens, l’organisation, le contenu et le contexte de nos apprentissages – montrent que l’éducation peine à remplir sa promesse dans la construction d’un avenir pacifique, juste et durable.
L’éducation peine à remplir sa promesse dans la construction d’un avenir pacifique, juste et durable. Il nous appartient de la transformer
Aujourd’hui, des niveaux de vie très élevés côtoient les inégalités les plus flagrantes. De plus en plus de personnes s’engagent dans la vie publique, mais dans de nombreux pays du monde, le tissu social et la démocratie s'effilochent. À bien des égards, la rapidité des avancées technologiques transforme nos vies. Pourtant, ces innovations ne contribuent pas suffisamment à améliorer l’équité, l’inclusion, ni la participation démocratique.
Chaque habitant de la planète a une lourde responsabilité envers les générations présentes et futures – il s’agit de veiller à ce que notre monde prospère, que l’on ne manque de rien et que chacun jouisse pleinement des mêmes droits de l'homme. Malgré le contexte de profonde incertitude et l’urgence des actions à mener, nous avons de bonnes raisons d’espérer. Depuis le début de son histoire, jamais notre espèce n’avait bénéficié d’un accès aussi ouvert à la connaissance ni d’un nombre aussi important d’outils de collaboration. Jamais l’humanité n’avait disposé d’une telle capacité à travailler de concert pour façonner un meilleur avenir.
Les problèmes du monde nous affectent tous parce que nous sommes liés les uns aux autres. De nombreuses personnes à travers le monde partagent également le sentiment très fort de devoir participer à un effort commun. En prenant pour point de départ l’acceptation de la diversité et de la différence, nous devons travailler ensemble et mettre en œuvre des actions collectives pour trouver des solutions qui profitent à tous.
L’éducation – la manière dont nous organisons l’enseignement et l’apprentissage tout au long de la vie – a longtemps joué un rôle fondamental dans la transformation des sociétés humaines. Elle nous relie au monde et les uns aux autres, nous ouvre de nouveaux horizons et renforce notre capacité à dialoguer et à agir. Mais pour pouvoir bâtir un avenir pacifique, juste et durable, il nous appartient de transformer l’éducation elle-même.
Un nouveau contrat social en faveur de l’éducation
On peut considérer l’éducation comme une forme de contrat social – un accord implicite permettant aux membres d’une société de coopérer en vue d’obtenir un résultat qui profite à tous. Un contrat social est bien plus qu’une simple transaction. Il reflète des normes, des engagements et des principes qui sont à la fois inscrits dans nos lois et ancrés dans nos cultures. Le point de départ est une conception commune de l’intérêt public de l’éducation. Ce contrat détermine les principes fondamentaux et organisationnels qui structurent les systèmes éducatifs, ainsi que le travail à accomplir pour définir, asseoir et affiner ces principes.
Au XXe siècle, l’éducation avait pour objectif principal de soutenir les efforts nationaux en matière de citoyenneté et de développement, sous la forme de l’école obligatoire pour les enfants et les jeunes. Toutefois, face aux risques majeurs qui menacent l’humanité et la planète, il est urgent que nous réinventions l’éducation afin de mieux nous préparer aux défis qui nous attendent. Cet acte de ré-imagination signifie travailler ensemble à la création de futurs partagés et interdépendants. Le nouveau contrat social en faveur de l’éducation doit nous permettre de nous unir autour d’initiatives collectives et d’accéder à des savoirs et à des innovations qui assureront à tous un avenir durable et pacifique, marqué par la justice sociale, économique et environnementale.
Entre promesses passées et avenir incertain
La conjoncture actuelle est marquée par l’aggravation des inégalités sociales et économiques, le changement climatique, la perte de biodiversité, l’exploitation excessive des ressources de la planète, le recul de la démocratie et les dérèglements liés à l’automatisation technologique. Ces multiples crises et défis s’entrecroisent et nous empêchent de jouir pleinement de nos droits individuels et collectifs. Leurs conséquences ont affecté la plupart des êtres vivants. Si le développement des systèmes éducatifs a créé des opportunités pour beaucoup, un très grand nombre de personnes sont restées exclues d’un apprentissage de qualité.
Lorsqu’on pense à l’avenir, on peut être tenté de brosser un tableau plus sombre encore. On peut envisager l’épuisement de la planète et la raréfaction des espaces habitables par l’homme. Les hypothèses les plus pessimistes dessinent également un monde dans lequel la qualité de l’éducation représentera un privilège réservé aux élites et où de larges pans de la population vivront dans la misère, privés d’accès aux biens et aux services essentiels. Les inégalités éducatives sont-elles condamnées à s’aggraver jusqu’à laisser tomber les programmes scolaires en désuétude ? Dans quelle mesure ces éventuels changements impacteront-ils notre humanité en partage ?
À l’heure actuelle et partout à travers le monde, les modalités d’organisation de l’éducation sont insuffisantes au regard de l’objectif à atteindre : garantir des sociétés justes et pacifiques, une planète saine et un progrès dont chacun récolte les fruits. La façon dont nous envisageons l’éducation est même la source de certaines de nos difficultés. La mise en place d’un nouveau contrat social en faveur de l’éducation doit nous permettre de repenser l’apprentissage et les relations entre les étudiants, les enseignants, les savoirs et le monde qui nous entoure.
Propositions pour un renouvellement de l’éducation
La pédagogie doit s’organiser autour de principes de coopération, de collaboration et de solidarité. Elle doit encourager les élèves à mettre en commun leurs compétences intellectuelles, sociales et morales pour transformer le monde, tout en faisant preuve d’empathie et de compassion. Il faut aussi désapprendre les préjugés, les idées reçues et les dissensions. Ces objectifs pédagogiques doivent donner lieu à un processus d’évaluation pensé pour encourager les progrès significatifs de tous les élèves en matière de développement et d’apprentissage.
La pédagogie doit encourager les élèves à mettre en commun leurs compétences intellectuelles, sociales et morales pour transformer le monde
Les programmes doivent mettre l’accent sur des apprentissages écologiques, interculturels et interdisciplinaires accompagnant l’accès et la contribution des élèves au savoir, tout en développant leur capacité à mettre ce savoir en pratique ou à le remettre en cause. Les programmes doivent s’inscrire dans une vision écologique de l’humanité, au service d’un rééquilibrage de notre rapport à la Terre. La désinformation doit être combattue par l’acquisition de connaissances scientifiques, numériques et humanistes qui aident à mieux distinguer le vrai du faux. Les méthodes, les politiques et les contenus éducatifs doivent promouvoir une citoyenneté active ainsi que la participation démocratique.
La désinformation doit être combattue par l’acquisition de connaissances scientifiques, numériques et humanistes qui aident à mieux distinguer le vrai du faux
La professionnalisation de l’enseignement doit être accentuée et s’inscrire dans un cadre collaboratif au sein duquel les enseignants sont reconnus pour leur travail de création de savoir et pour leur rôle de premier plan dans le processus de transformation sociale et éducative. Le travail des enseignants doit s’appuyer sur la collaboration et le travail d’équipe. Il doit intégrer la réflexion, la recherche et la création de savoir et de nouvelles pratiques pédagogiques. Il est donc nécessaire de soutenir leur autonomie et leur liberté et de s’assurer qu’ils participent pleinement au débat public et au dialogue relatifs aux futurs de l’éducation.
Parce qu’elles défendent l’inclusion, l’équité et le bien-être individuel et collectif, les écoles doivent rester des espaces d’éducation préservés, mais également réinventer ces lieux afin de mieux promouvoir la transformation du monde et son avancée vers un avenir plus juste, plus équitable et plus durable. Les écoles doivent rassembler en un même lieu diverses catégories de personnes et les exposer à des défis et à des possibilités qu’elles ne rencontreraient pas ailleurs. L’architecture, les espaces, les horaires, les emplois du temps et les regroupements d’élèves doivent être repensés pour encourager et permettre aux individus de travailler ensemble. Les technologies numériques doivent avoir pour fonction de renforcer – et non de remplacer – les écoles. Afin d’ouvrir la voie vers l’avenir auquel nous aspirons, les écoles doivent garantir le respect des droits de l’homme et se montrer exemplaires en matière de durabilité et de neutralité carbone.
Les technologies numériques doivent avoir pour fonction de renforcer – et non de remplacer – les écoles
L’existence est jalonnée de possibilités éducatives qui se déploient dans différents espaces culturels et sociaux et qu’il nous appartient de saisir et de développer. Chacun doit avoir accès, tout au long de sa vie, à des possibilités éducatives sérieuses et de qualité. Nous devons connecter les espaces d’apprentissage naturels, bâtis et virtuels, tout en prenant soin d’exploiter les meilleurs atouts des uns et des autres. En matière d’éducation, les principales responsabilités incombent aux gouvernements, dont il faut renforcer la capacité de financement public et de régulation. Le droit à l’éducation doit être élargi pour durer toute la vie et inclure le droit à l’information, à la culture, à la science et à la connectivité.
Promouvoir un nouveau contrat social en faveur de l’éducation
Ce nouveau contrat social doit permettre de surmonter les discriminations, la marginalisation et l’exclusion. Nous devons consacrer nos efforts à défendre l’égalité des genres et le respect des droits pour tous, indépendamment de l’origine ethnique, de la religion, du handicap, de l’orientation sexuelle, de l’âge ou de la citoyenneté. Nous avons besoin d’un engagement massif en faveur du dialogue social, de la pensée et de l’action communes.
Le nouveau contrat social en faveur de l’éducation doit permettre de surmonter les discriminations, la marginalisation et l’exclusion
Un appel à la recherche et à l’innovation. Un nouveau contrat social suppose la mise en œuvre d’un programme de recherche mondial et collaboratif consacré au droit à l’éducation tout au long de la vie. Ce programme doit se concentrer sur le droit à l’éducation et intégrer différents types de données probantes et différentes méthodes d’acquisition des connaissances, incluant l’apprentissage horizontal et les échanges transfrontaliers de savoirs. Toutes les contributions doivent être entendues, qu’elles proviennent d’enseignants, d’élèves, d’universitaires, de centres de recherche, de gouvernements ou d’organisations de la société civile.
Un appel à la solidarité mondiale et à la coopération internationale. L’élaboration d’un nouveau contrat social en faveur de l’éducation nécessite un engagement renouvelé en faveur d’une collaboration mondiale pour la défense du statut de bien commun de l’éducation. Cela suppose une coopération plus juste et équitable entre acteurs étatiques et non étatiques. Au-delà des flux Nord-Sud d'aide à l'éducation, il convient de renforcer la production de connaissances et de preuves par le biais de la coopération Sud-Sud et triangulaire. La communauté internationale a un rôle essentiel à jouer pour aider les acteurs étatiques et non étatiques à s’accorder sur un ensemble commun de normes et d’objectifs indispensables à la mise en œuvre d’un nouveau contrat social en faveur de l’éducation. Dans ce cadre, le principe de subsidiarité doit être respecté et tous les efforts locaux, nationaux et régionaux encouragés. La coopération et les institutions internationales doivent notamment prendre leur part dans la réponse aux besoins éducatifs des demandeurs d’asile, des réfugiés, des apatrides et des migrants.
L’élaboration du nouveau contrat social en faveur de l’éducation doit pouvoir compter, dans tous ses aspects, sur la participation active des universités et autres établissements d’enseignement supérieur. Les universités qui font preuve de créativité, innovent et s’engagent pour le renforcement du statut de bien commun de l’éducation ont un rôle essentiel à jouer dans les futurs de l’éducation, qu’il s’agisse de soutenir la recherche et les progrès de la science ou de s’associer à d’autres établissements et programmes éducatifs au sein de leur communauté ou à travers le monde.
Il est essentiel que chacun puisse participer au développement des futurs de l’éducation – enfants, jeunes, parents, enseignants, chercheurs, militants, employeurs, responsables culturels et religieux, etc. Nous pouvons nous appuyer sur des traditions culturelles profondes, riches et diverses. L’être humain dispose d’atouts importants en matière d’action, d’intelligence et de créativité collectives. Aujourd’hui, nous faisons face à un choix décisif : continuer d’avancer vers une impasse ou modifier radicalement notre trajectoire.
Lectures complémentaires :
Tout nouveau contrat social doit respecter les deux principes fondamentaux suivants :
Garantir le droit à une éducation de qualité tout au long de la vie. Le droit à l’éducation, tel qu’il est établi à l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, doit rester au cœur du nouveau contrat social en faveur de l’éducation et élargir sa portée au profit d’un droit à une éducation de qualité tout au long de la vie. Il importe également d’y inclure le droit à l’information, la culture, la science, ainsi que le droit d’accéder et de contribuer librement à la communauté du savoir, c’est-à-dire à l’ensemble des ressources collectives du savoir que l’humanité a accumulées au fil des générations et qui ne cessent d’évoluer.
Renforcer le statut de projet sociétal et de bien commun de l’éducation. En tant que projet sociétal partagé, l’éducation produit des objectifs communs et permet aux individus et aux communautés de s’épanouir ensemble. L’établissement de ce nouveau contrat social doit aboutir non seulement à la garantie d’un financement public de l’éducation, mais aussi à l’engagement de toute la société en faveur d’un débat ouvert à tous. Mettre l’accent sur la participation renforce le statut de bien commun de l’éducation – une forme de bien-être partagé, que l’on peut définir et atteindre ensemble.
En savoir plus sur l’initiative mondiale Les futurs de l’éducation
Des transformations profondes sont déjà à l’œuvre dans plusieurs domaines essentiels
À Montréal, l’école de la deuxième chance, Le Courrier de l’UNESCO, octobre-décembre 2019
À l'école du futur, Le Courrier de l’UNESCO, avril 2009
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