
Quelques pensées de Léonard
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Point de seigneurie plus grande ou moindre que sur soi-même.
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L'expérience, truchement entre l'ingénieuse nature et l'espèce humaine, nous enseigne que ce que cette nature effectue parmi les mortels contraints par la nécessité ne saurait se produire autrement que de la façon que lui enseigne la raison, laquelle est son gouvernail.
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Dans les neuves, l'eau que tu touches est la dernière des ondes écoulées et la première des ondes qui arrivent : ainsi du temps présent.
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Fuis l'étude qui donne naissance à une œuvre appelée à mourir en même temps que son ouvrier.
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On ne saurait rien aimer ou haïr qui ne soit d'abord connu.
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Tu fais mal si tu loues ce que tu ne comprends pas bien, et pis encore si tu le blâmes.
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Le fer se rouille faute de s'en servir, l'eau stagnante perd sa pureté et se glace par le froid. De même, l'inaction sape la vigueur de l'esprit.
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Où la descente est la plus facile, l'ascension est la plus difficile.
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Toute partie tend à se réunir à son tout, pour échapper ainsi à sa propre imperfection.
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La goutte ne se détache point du reste de l'eau, si la puissance de son poids ne l'emporte sur son adhérence à cette eau.
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Le poids d'un petit oiseau qui s'y pose, suffit à déplacer la terre.
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La surface de la sphère liquide est agitée par une minuscule goutte d'eau qui y tombe.
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Deux faiblesses qui s'appuient l'une à l'autre créent une force. Voilà pourquoi la moitié du monde en s'appuyant contre l'autre moitié se raffermit.
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Un corps en mouvement acquiert dans l'espace autant de place qu'il en perd.
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La science est le capitaine, la pratique est le soldat.
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Quiconque dans une discussion invoque les auteurs fait usage non de son intellect mais de sa mémoire.
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L'idée ou la faculté d'imaginer est à la fois gouvernail et frein des sens.
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La bénigne nature a fait en sorte que dans le monde entier tu trouves quelque chose à imiter.
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Un bon peintre a deux objets à représenter : l'homme et l'intention de son âme. La première tâche est facile, la seconde malaisée.
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N'appelle point ces richesses qui peuvent se perdre ; là vertu est notre richesse véritable, et la vraie récompense de qui la possède. Elle ne saurait être perdue ; elle ne nous abandonnera qu'avec la vie. Pour la propriété et les biens matériels, tu dois toujours les redouter ; souvent ils laissent leur possesseur dans l'ignominie, et vient-il à les perdre, il est moqué.
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De cours d'eau égaux en longueur, largeur et déclivité, le plus rapide sera le plus profond.
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Le chardonneret apporte de l'euphorbe à ses petits, prisonniers dans une cage-la mort plutôt que la perte de la liberté.
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Les plumes élèveront les hommes, tout de même que les oiseaux, vers le ciel.
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L'âge, qui s'envole, glisse en secret et leurre l'un et l'autres ; et rien ne passe aussi rapidement que les années ; mais qui sème la vertu récolte l'honneur.
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Alors que je croyais apprendre à vivre, j'apprenais à mourir.
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La mort plutôt que la lassitude. ...
... et quelques fables
Le cèdre infatué de sa beauté et dédaigneux des arbustes environnants, les fit bannir de sa vue. Sur quoi le vent, ne rencontrant plus d'obstacles, le déracina et le jeta bas.
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Un jour, le rasoir sortit du manche qui lui servait de gaine et s'étant mis au soleil, il vit l'astre se refléter sur lui. Il en tira grande gloire, et ruminant la chose, se dit : Retournerai-je « à la boutique d'où je viens de sortir ? Certes non. Aux dieux ne plaise qu'aussi splendide beauté s'abaisse à si vils usages ! Quelle folie me conduirait à raser les barbes ensavonnées de rusties et manants et de remplir un emploi subalterne ? Ce corps est-il fait pour semblable exercice ? Que non. Je veux me cacher en quelque endroit écarté et y vivre tranquillement.
S'étant donc caché pendant quelques mois, il revint un jour à l'air, et sorti de sa gaine, se vit pareil à une scie rouillée, car sa surface ne réfléchissait plus la splendeur du soleil. En proie à un vain repentir, il se lamenta sur son irréparable infortune et dit : « oh, comme il valait mieux laisser le barbier faire usage de mon tranchant maintenant perdu, d'une finesse si rare ! Où est l'éclat de ma surface ? En vérité, l'horrible et insidieuse rouille l'a corrodé, a Ainsi des esprits qui au lieu d'exercice pratiquent l'inertie : tel le rasoir, ils perdent leur tranchant subtil et la rouille de l'ignorance détruit leur forme.
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Le silex s'étonna grandement sous le choc de l'acier et lui dit avec sévérité : « Quelle arrogance te pousse à me tourmenter. Ne m'importune pas, car c'est par erreur que tu m'as choisi, moi qui jamais n'ai nui à personne ». L'acier répliqua : « Consens à te montrer patient et tu verras un résultat merveilleux jaillir de toi ».
En entendant ces mots, le silex apaisé endura son martyre et vit qu'il engendrait le feu, élément merveilleux qui entre dans la composition de choses innombrables. Dit pour ceux qui se découragent au début de leurs études, mais ensuite, appliqués à triompher d'eux-mêmes, s'y adonnent avec patience et persévérance et en obtiennent des résultats merveilleux.