
Les Races et le racisme
Un groupe de 22 savants réuni par l'Unesco a établi à l'unanimité, le 18 août 1964 à Moscou, un document en 13 points (v. page 8) sur les aspects biologiques de la question raciale. Le président de cette réunion commente ici les travaux de cette réunion.
Les experts dont les noms figurent ci-dessous, réunis par l'Unesco pour donner leur avis sur les aspects biologiques de la question racialer et en particulier pour établir les éléments biologiques d'une déclaration sur la race et les préjugés raciaux prévue pour 1966 et destinée à mettre à jour et à compléter la déclaration sur la race et les différences raciales rédigée en 1951, ont marqué leur accord unanime sur les propositions qui suivent.
1.- Tous les hommes actuels appartiennent à une même espèce, dite homo sapiens, et sont issus d'une même souche. Quand et comment les différents groupes humains se sont diversifiés, ¡a question reste controversée.
2.- Des différences de constitution héréditaire et l'action du milieu sur le potentiel génétique déterminent les différences biologiques entre les êtres humains. La plupart sont dues à l'interaction de ces deux ordres de facteurs.
3.- Chaque population humaine présente une large diversité génétique. Il n'existe pas chez l'homme de race pure, au sens de population génétiquement homogène.
4.- Sous leur aspect moyen, il y a des différences physiques manifestes entre les populations vivant en divers points du globe. Beaucoup de ces différences ont une composante génétique. Ces dernières consistent le plus souvent en des différences de fréquence des mêmes caractères héréditaires.
5.- Sur la base de traits physiques héréditaires, diverses subdivisions de l'humanité en grand-races et de celles-ci en catégories plus restreintes (les races, qui sont des groupes de populations, ou, éventuellement, des populations), ont été proposées. Presque toutes reconnaissent au moins trois grand-races.
La variation géographique des caractères utilisée dans les classifications raciales étant complexe et ne présentant pas de discontinuité majeure, ces classifications, quelles qu'elles soient, ne sauraient prétendre à découper l'humanité en catégories rigoureusement tranchées et, du fait de la complexité de l'histoire humaine, la place de certains groupes dans une classification raciale est difficile à établir, notamment celle de certaines populations qui occupent une position intermédiaire.
Beaucoup d'anthropologues, tout en insistant sur l'importance de la variabilité humaine, estiment que l'intérêt scientifique de ces classifications est limité, voire qu'elles présentent le danger d'inciter à des généralisations abusives.
Les différences entre individus d'une même race ou d'une même population sont souvent plus grandes que la différence des moyennes entre races ou entre populations.
Les traits distinctifs variables retenus pour caractériser une race, ou bien sont hérités indépendamment les uns des autres, ou bien présentent un degré variable d'association à l'intérieur de chaque population. Aussi la combinaison des caractères chez la plupart des individus ne correspond-elle pas à la caractérisation typologique de la race.
6.- Chez l'homme comme chez l'animal, la composition génétique de chaque population est soumise à l'action modificatrice de divers facteurs : la sélection naturelle, tendant vers une adaptation au milieu, des mutations fortuites consistant en modifications des molécules d'acide désoxyribonucléique qui déterminent l'hérédité, des modifications aléatoires de la fréquence des caractères héréditaires qualitatifs, la probabilité desquelles dépend de l'effectif de la population et de la composition des unions au sein de cette population.
Certains caractères physiques ont une valeur biologique universelle et fondamentale pour la survie de l'homme, en quelque milieu que ce soit. Les différences sur lesquelles se fondent les classifications raciales ne concernent pas de tels caractères. Aussi, à leur égard, ne peut-on en rien biologiquement parler d'une supériorité ou d'une infériorité générales de telle ou telle race.
7.- L'évolution humaine présente des modalités, d'une importance capitale, qui lui sont particulières.
Le passé de l'espèce humaine, aujourd'hui répandue à la surface entière de la terre, est riche en migrations, en expansions et en rétractions territoriales. En conséquence, une adaptabilité générale aux milieux les plus variés l'emporte chez l'homme sur les adaptations à des milieux particuliers.
Les progrès accomplis par l'homme, sur quelque plan que ce soit, semblent se poursuivre, depuis de nombreux millénaires, principalement sinon uniquement sur le plan des acquis culturels, et non sur celui des patrimoines génétiques. Cela implique une modification du rôle de la sélection naturelle chez l'homme actuel.
Du fait de la mobilité des populations humaines et des facteurs sociaux, les unions entre membres de groupes humains différents, qui tendent à effacer les différenciations acquises, ont joué un rôle beaucoup plus important dans l'histoire de l'espèce humaine que dans celle des espèces animales. Le passé de toute population, de toute race humaine compte de multiples métissages, qui ont tendance à s'intensifier.
Chez l'homme, les obstacles aux croisements sont de nature sociale et culturelle tout autant que géographique.
8.- A toute époque, les caractéristiques héréditaires des populations humaines représentent un équilibre instable résultant des métissages et des mécanismes de différenciation déjà cités. En tant qu'entités définies par un ensemble de traits distinctifs propres, les races humaines sont en voie de formation et de dissolution.
Les races humaines sont généralement caractérisées de façon bien moins nette que beaucoup de races animales et ne peuvent en rien être assimilées aux races d'animaux domestiques, qui résultent d'une sélection poussée à des fins particulières.
9.- Il n'a jamais été établi que le métissage présente un inconvénient biologique pour l'humanité en général. Par contre, il contribue largement au maintien des liens biologiques entre les groupes humains, donc de l'unité de l'espèce humaine dans sa diversité.
Sur le plan biologique, les implications d'un mariage dépendent de la constitution génétique individuelle des conjoints et non de leur race. Il n'existe donc aucune justification biologique à interdire les maria- ges interraciaux, ni à les déconseiller en tant que tels.
10.- L'homme, depuis son origine, dispose de moyens culturels sans cesse plus efficaces d'adaptation non génétique.
11.- Les facteurs culturels qui rompent les cloisonnements sociaux et géographiques élargissent les cercles de mariage et agissent par conséquent sur la structure génétique des populations en diminuant les fluctuations aléatoires (dérive génétique).
12.- En règle générale, les grand-races couvrent de vastes territoires qui englobent des peuples divers par la langue, l'économie, la culture, etc.
Aucun groupe national, religieux, géographique, linguistique ou culturel ne constitue une race ipso facto ; le concept de race ne met en jeu que des facteurs biologiques.
Cependant, les êtres humains qui parlent la même langue et partagent la même culture ont tendance à se marier entre eux, ce qui peut faire apparaître un certain degré de coïncidence entre traits physiques d'une part, linguistiques et culturels d'autre part. Mais on ne connaît pas de relation causale entre ceux-ci et celles-là et rien n'autorise à attribuer les particularités culturelles à des caractéristiques du patrimoine génétique.
13.- La plupart des classifications raciales de l'humanité qui ont été proposées n'incluent pas de caractères mentaux parmi leurs critères taxonomiques.
L'hérédité peut intervenir dans la variabilité que montrent les individus d'une même population dans leurs réponses à certains tests psycho logiques actuellement employés.
Cependant, on n'a jamais prouvé de différence entre les patrimoines héréditaires des groupes de population en ce qui concerne ce que mesurent ces tests, tandis que l'intervention du milieu physique, culturel et social dans Jes différences des réponses à ces tests a été abondamment mise en lumière.
L'étude de cette question est entravée par l'extrême difficulté d'isoler l'éventuelle part de l'hérédité dans les différences moyennes observées entre les résultats des épreuves dites d'intelligence globale de populations culturellement diverses.
De même que certains grands traits anatomiques propres à l'espèce humaine, la capacité génétique d'épanouissement intellectuel relève de caractéristiques biologiques de valeur universelle, en raison de son importance pour la survie de l'espèce dans n'importe quel environnement naturel et culturel.
Les peuples de la terre semblent disposer aujourd'hui de potentialités biologiques égales d'accéder à n'importe quel niveau de civilisation. Les différences entre les réalisations des divers peuples semblent devoir s'expliquer entièrement par leur histoire culturelle.
Certaines particularités psychologiques sont parfois attribuées à tel ou tel peuple. Que de telles assertions soient ou non fondées, ces particularités ne sauraient être assignées à l'hérédité, jusqu'à preuve du contraire.
Le domaine des potentialités héréditaires en ce qui concerne l'intelligence globale et les capacités de développement culturel, pas plus que celui des caractères physiques, ne permet de justifier le concept de races « supérieures » et « inférieures ». Les données biologiques ci-dessus exposées sont en contradiction flagrante avec les thèses racistes. Celles-ci ne peuvent se prévaloir en rien d'une justification scientifique et c'est un devoir pour les anthropologues de s'efforcer d'empêcher que les résultats de leurs recherches ne soient déformées dans l'emploi qui pourrait en être fait à des fins non scientifiques.
Autres dossiers sur le racisme dans Le Courrier de l'UNESCO