
Théâtres du monde
Qu'il soit d'origine populaire, comme la Commedia dell'arte italienne, aristocratique, comme le khon thaïlandais, rituelle, comme en Afrique, religieuse, comme les « autos » du Moyen Age européen, ou même divine, comme le Kathakali indien, le théâtre a toujours été l'expression-clé d'une culture. Il puise dans les mythes, légendes, coutumes, les modes de vie et les expériences historiques des peuples, s'incorpore et s'approprie toutes les manifestations artistiques ainsi que toutes les formes d'expression et de communication humaines.
Quelle que soit sa diversité, qu 'il soit un grand spectacle somptueux comme le Kabuki, l'opéra européen ou la comédie musicale américaine, ou qu'il soit dépourvu de décors et d'accessoires comme le Nô japonais ou le « théâtre de la pauvreté » des groupes populaires latinoaméricains ; qu 'il soit représenté dans des lieux traditionnellement conçus à cette intention oujoué dans la rue et sur les places comme en Union soviétique ; qu'il obéisse à un code scénique immuable comme l'Opéra de Beijing (Pékin) ou que son argument soit improvisé comme dans les expériences d'avant-garde du « Living Theater » ; qu'il reconstitue les moments forts du mythe, de la religion ou de l'his toire comme le théâtre grec, africain ou thaïlandais, ou qu'il devienne une forme d'action immédiate et de « guérilla doctrinaire » en faveur des groupes marginaux de la population comme en Amérique du Nord et du Sud ; qu'il reprenne un texte classique ou s'affranchisse de la « tyrannie de la parole » comme certaines de Peter Handke et de Robert Wilson ; qu'il continue une tradition scénique séculaire comme en Egypte, en Inde ou en Chine, ou la brise systématiquement comme dans les pays occidentaux, au point que l'on peut parler à leurpropos d'une « tradition de la rupture », dans tous les cas, le théâtre a toujours été un facteur de libération de la capacité créatrice, individuelle et collective, et le miroir même de l'identité.
Il est aussi le lieu où les différentes cultures se rencontrent et le véhicule privilégié de leur commun enrichissement : Antigone est adaptée à la langue créole et aux croyances afro-haïtiennes, Macbeth aux formes expressives du théâtre Yakshagana de l'Inde, Le cercle de craie caucasien aux traditions de la Géorgie, Sophocle et Aristophane à une situation politiqueprécise de la Catalogne. Ainsi le théâtre est-il un terrain non seulement d'affirmation mais aussi de revendication de l'identité culturelle. Tandis que l'on adopte, en Europe, des techniques orientales comme celles du Kabuki et du cirque chinois pour jouer Shakespeare et qu'un Peter Brook, avec sa troupe d'acteurs internationale, va présenter des spectacles dans les villages d'Afrique, les pays du tiers-monde, qui envoient dans les festivals internationaux ce qu'il y a de mieux dans leur théâtre traditionnel, utilisent les techniques les plus récentes de l'avantgarde pour recréer, dénoncer ou tenter de changer, sur scène, leur propre réalité.
Tels sont, parmi d'autres, les aspects du théâtre qu'aborde ce numéro spécial du Courrier de l'Unesco, fidèle à l'idée que cet art total et totalisant constitue une des plus belles expressions de l'idéal suprême de l'Organisation: la compréhension mutuelle entre les peuples grâce à la connaissance de leurs cultures et de leurs formes d'expression, dans leur immense variété, connaissance libre de tout critère hiérarchique et de tout préjugé de l'esprit.