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Changement climatique: où va-t-on?

À Bruxelles, le 30 octobre dernier, le Sommet de l’Union européenne n’a pas réussi à décider qui paierait quoi pour aider les pays en développement à faire face au changement climatique. À Copenhague, à partir du 7 décembre prochain, le Sommet de l’ONU sur le climat (COP15) risque d’aboutir à un accord a minima qui ne garantira en rien la maîtrise future des émissions de gaz à effet de serre.

Pourtant, personne ou presque ne nie l’urgence d’une démarche à la fois ambitieuse et concertée. Comment alors comprendre qu’on n’arrive pas à s’entendre pour agir, qu’il s’agisse de réduire vigoureusement les émissions de gaz à effet de serre ou d’aider les plus vulnérables à s’adapter aux transformations qui pourraient advenir ?

Une raison majeure est que la réponse internationale au changement climatique est un défi dont les termes éthiques ne sont pas clairement posés. Certes, les enjeux scientifiques et techniques sont complexes. Certes, des intérêts puissants sont en jeu. Mais, depuis l’adoption du protocole de Kyoto en 1997, on cherche une solution équitable au partage mondial des coûts d’atténuation des émissions et d’adaptation à leurs conséquences. Faute d’accord sur les termes et modalités de l’équité, la solution reste introuvable.

Savoir et ne rien faire – voilà bien le nœud éthique de l’affaire. Il est temps que la communauté internationale se donne les moyens de le trancher.

En quoi exactement le changement climatique constitue-t-il un défi éthique ? Il me paraît essentiel d’insister sur quatre dimensions au moins : le changement climatique met en jeu des responsabilités, il exige la mobilisation deconnaissances scientifiques, il engage la solidarité internationale, et il interpelle chacun de nous à titre individuel.

Le changement climatique n’est pas qu’une affaire de gaz à effet de serre. Il a aussi un visage humain, et ce visage est tragique. Tournons nos regards vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée, et nous verrons les îles Carteret sombrer, sa population contrainte à l’exil et toute une culture ainsi vouée à s’éteindre. D’autres îles seront bientôt englouties, des millions de sans-abris seront alors condamnés à chercher réconfort et asile dans un monde toujours plus inhospitalier. Songeons à la désertification de l’Afrique et aux cinquante millions de réfugiés qu’elle créera dans les dix prochaines années, selon certaines prévisions. Si ces chiffres,par leur énormité même, paraissent abstraits, pensons simplement à ces femmes de l’Afrique sub-saharienne, qui doivent marcher chaque jour plusieurs kilomètres pour se procurer de l’eau. Les pays les plus développés ne sont pas immunisés : l’ouragan Katrina, en dévastant la Nouvelle-Orléans et sa région côtière, a créé des réfugiés climatiques à l’intérieur des frontières des États-Unis.

Sortir de l’impasse

Face à ces risques, qui iront croissant, il nous incombe, à tous les niveaux, de mieux connaître pour mieux agir au bénéfice de ceux qui en auront le plus besoin. On est bien au cœur de l’éthique.

En outre, les visages des victimes n’expriment qu’une partie du défi. La vie humaine n’est qu’une des formes de la vie terrestre, qui est aussi bien animale et végétale. La fonte des glaciers de l’Arctique met en péril tout un écosystème : elle menace d’extinctionnon seulement les ours polaires, mais aussi toute une faune marine, qui se nourrit dans des eaux désormais polluées. Enfin, nos actions toucheront des générations futures qui n’ont pas voix au chapitre. Allons-nous leur laisser, comme épitaphe : « C’est votre problème : débrouillez-vous » ?

Une approche éthique du changement climatique suppose donc d’écouter toutes les voix, de tenir compte de tous les intérêts et d’élaborer un accord fondé sur des principes auxquels tous puissent souscrire. Aujourd’hui, nous en sommes loin.

Comment, alors, sortir des impasses actuelles ?

L’UNESCO, dont le mandat est par essence éthique, a fait un grand pas dans cette direction en engageant, lors de sa Conférence générale en octobre 2009, un processus qui pourrait conduire à une déclaration universelle de principes éthiques en relation avec le changement climatique. Cela suppose un consensus international qui peut paraître introuvable ; mais l’UNESCO a montré, sur d’autres questions controversées comme la bioéthique, sa capacité à faire naître l’accord à partir de la consultation de tous.

Encore faut-il qu’à la discussion entre États s’ajoute la mobilisation des citoyens. Encore faut-il aborder franchement les sujets difficiles : celui, notamment, des responsabilités proprement éthiques qui résultent du savoir et de la capacité d’agir. Sans reconnaissance de cette dimension éthique du changement climatique, on peut craindre que tous les accords techniques sans mise en œuvre, tous les compromis politiques sans lendemain, ne soient qu’écume sur une vague qui, peu à peu, nous engloutira.

Alain Pompidou (France), Président du Bureau de la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST)

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Décembre 2009