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Patrimoine mondial : un défi permanent

Vingt-sept nouveaux sites viennent d’être inscrits sur la Liste du patrimoine mondial, à Québec (Canada). Cette année aucun bien n’a été ajouté sur la Liste du patrimoine en péril, mais il a été décidé d’appliquer un mécanisme de « suivi renforcé » sur Tombouctou (Mali), Machu Picchu (Pérou), Samarkand (Ouzbékistan) et Bordeaux (France).

Grâce à ce nouveau mécanisme, introduit pour la première fois en 2007, le Comité du patrimoine mondial sera régulièrement informé sur l’évolution de la préservation de ces sites, en vue de déterminer leur futur statut sur la Liste du patrimoine mondial.

La Convention de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel est sans doute l’instrument international le plus largement reconnu et le plus efficace en matière de conservation. Un de ses principaux objectifs est « l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel ». Ainsi, lorsqu’un site est inscrit sur la Liste, l’aventure ne fait que commencer. Le Comité du patrimoine mondial joue un rôle moteur dans la promotion du développement durable des sites. Grâce à des rapports périodiques et au nouveau cadre global de suivi, il peut détecter les menaces qui pèsent sur l’intégrité des biens. Dans des situations extrêmes, il les inscrit sur la Liste du patrimoine mondial en péril.

Au cours des deux dernières années, le Comité a examiné près de 300 rapports sur l’état de conservation : un chiffre record. Neuf biens ont été retirés de la Liste du patrimoine en péril, leur état de conservation s’étant amélioré, mais cinq nouveaux y ont été ajoutés. En inscrivant des sites sur cette Liste, le Comité tire la sonnette d’alarme.

La partie cachée de l’iceberg

La Liste du patrimoine en péril n’est cependant que la partie émergée de l’iceberg. Des menaces pèsent sur la plupart des 878 sites du patrimoine mondial : constructions de gratte-ciels, ponts, oléoducs, tourisme incontrôlé, braconnage, ou encore changement climatique.

Le premier cas d’envergure examiné par le Comité en matière de développement urbain était la construction d’un gratte-ciel dans le centre historique de Vienne. Il a déclenché, en 2003, une polémique qui dure encore. Le dernier exemple en date est le projet de construction d’une tour à Saint-Pétersbourg par Gazprom, le géant russe du gaz naturel. Lors de sa session à Québec, le Comité a demandé à la Russie d’inviter une mission composée d’experts du Centre du patrimoine et du Centre international des monuments et des sites (ICOMOS) pour évaluer l’impact potentiel de la Tour Ohkta et de n’entreprendre aucune action jusqu’à ce que les résultats de la mission soient disponibles.

Les projets d’infrastructures – barrages, canaux, routes et ponts – sont souvent cités dans les rapports d’évaluation de l’état de conservation des sites. En Inde, un pont qui menaçait l’ensemble monumental de Hampi a pu être déplacé, et le site a été retiré de la Liste du patrimoine en péril en 2006. Un autre cas encore à résoudre est la construction d’un pont dans la vallée de l’Elbe à Dresde. En 2006, le Comité avait estimé que ce projet « porterait atteinte de façon irréversible aux valeurs et à l’intégrité du bien en Allemagne ». Cette année, il a regretté que la construction du pont ait été amorcée, pressant les autorités d’opter pour un tunnel. Le Comité a convenu de retirer ce bien de la Liste du patrimoine mondial en 2009 si la construction se poursuivait et si les dommages n’étaient pas réparés.

Il arrive que les sites protégés soient victimes de leur succès. Certaines agences touristiques n’hésitent pas à utiliser l’étiquette « Patrimoine mondial » comme arme publicitaire. On parle aujourd’hui de 5 000 visites quotidiennes du site d’Angkor au Cambodge. Sur les Îles Galápagos, on est passé de 40 000 visiteurs en 1991 à 120 000 en 2006. Ce type de tourisme peut non seulement mettre en danger les ressources du site mais aussi la sécurité du public, sans parler de la dégradation de la qualité des visites. C’est pourquoi, on travaille actuellement sur le développement de principes pour un tourisme responsable, destinés à la fois aux organisateurs, aux conservateurs, aux voyagistes, aux auteurs de guides et aux touristes.

Par ailleurs, le Comité a été confronté par le passé à des cas d’exploitation minière, forestière, gazière ou pétrolière, ainsi qu’au braconnage d’animaux à des fins commerciales. Et il peut se flatter de quelques succès retentissants comme la réorientation du trafic minier autour du Parc national de Huascaran (Pérou) ou le réalignement d’un projet d’oléoduc hors du bassin versant du Lac Baïkal (Russie). Autre avancée remarquable pour l’UNESCO : le Conseil international des mines et des métaux s’est engagé en 2003 à cesser toute activité de prospection ou d’extraction sur les sites du patrimoine mondial, désormais reconnus « zones interdites ».

Une grande nouveauté : la surveillance renforcée

Il est plus difficile de faire face au danger que représentent les catastrophes naturelles – événements météorologiques extrêmes, incendies ou inondations – qui sont souvent liées au changement climatique. En collaboration avec d’autres organisations et comités internationaux, le Comité a élaboré un cadre politique et un plan d’action pour la gestion des effets du changement climatique sur le patrimoine mondial [voir « Etudes de cas sur les changements climatiques et le patrimoine », rapport de l’UNESCO, 2007].

Préoccupé également par les menaces que font peser les troubles civils et les conflits armés sur les sites du patrimoine mondial, le Comité avait, par exemple, décidé l’année dernière d’appliquer une stratégie globale de sauvegarde pour les cinq sites de la République démocratique du Congo (RDC) figurant sur la Liste du patrimoine en péril. 

Le Comité a également adopté un mécanisme de suivi renforcé pour les biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril, l’appliquant aux cinq sites de la RDC, ainsi qu’à Dresde et à Jérusalem. Ce mécanisme est activé par le Comité du patrimoine mondial ou par le Directeur général de l’UNESCO dans certains cas précis et exceptionnels. Lors de la 32e session à Québec, décision a été prise de l’appliquer aussi notamment à Tombouctou (Mali), Machu Picchu (Pérou), Samarkand (Ouzbékistan) ou Bordeaux (France), qui ne sont pas sur la Liste des sites en péril. Le cas des cinq sites de la RDC a été de nouveau soigneusement analysé.

Pour la première fois dans l’histoire de la Convention, le Comité a décidé à grand regret en 2007 de retirer un bien de la Liste du patrimoine mondial. Il a jugé que le bien en question, le Sanctuaire de l’oryx arabe à Oman, s’était détérioré au point d’en faire disparaître la valeur universelle exceptionnelle qui lui avait valu son inscription. Cet épisode nous rappelle que la protection du patrimoine mondial est une responsabilité commune. Il est du devoir des États parties de protéger le patrimoine mondial, culturel et naturel, situé sur leur territoire ; et il est du devoir de la communauté internationale dans son ensemble d’assister les États parties et de coopérer avec eux dans cette entreprise.

Lors de la 32e session à Québec, le Canada a souhaité associer les jeunes générations aux travaux du Comité. La conservation à long terme des sites de notre patrimoine mondial dépendra de leur volonté de poursuivre l’oeuvre de protection. C’est en les incitant à participer aujourd’hui qu’on formera les décideurs de demain.

Christina Cameron de l’Université de Montréal, Présidente du 32e Comité du patrimoine mondial

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Juillet - août 2008