L’absence d’accès universel à des ressources éducatives de qualité reste un problème mondial. Heureusement, nous dit Cable Green, l’éducation ouverte est en train d’élargir l’accès à ces ressources et d’en abaisser le coût, pour le plus grand bien des étudiants du monde entier.
Par Cable Green
Nous vivons une ère d’abondance de l’information où, pour la première fois dans l’histoire, chacun peut accéder à toutes les connaissances souhaitées. Cette révolution ouvre de nouvelles possibilités de s’instruire dont la clé réside dans les Ressources éducatives libres (REL), terme forgé en 2002 par l’UNESCO pour désigner l’ensemble des matériels en libre accès que l’on peut, en toute légalité, télécharger, modifier et partager pour le bien des élèves.
Cela fait maintenant 20 ans que les différentes ressources – manuels, vidéos, cours, programmes diplômants, etc. – utilisées pour enseigner la lecture et l’écriture, s’initier à la physique ou développer son esprit critique, sont « nées numériques » : même si l’on continue d’utiliser l’imprimé et d’accéder aux matériels d’apprentissage sans passer par l’Internet, toutes sont sur fichier numérique. Grâce au net, au faible coût des espaces disques et à l’informatique en nuage, on peut, pour un prix nul, stocker, multiplier et distribuer les ressources éducatives.
Mais comment partager un contenu d’apprentissage numérique aux fins d’enseignement sans violer le code de la propriété intellectuelle ? Comment le faire légalement ?
Le principal trait distinctif d’une REL est sa licence « ouverte » et les autorisations légales d’utilisation, de modification et de partage qu’elle concède au public. Toute ressource éducative ne mentionnant pas clairement qu’elle est dans le domaine public ou sous licence libre n’est pas une REL.
Le moyen le plus courant de placer sous licence libre une ressource éducative protégée par le droit d’auteur ‒ d’en faire une REL ‒ est de lui adjoindre une licence Creative Commons (CC). Il s’agit de licences standard, ouvertes et de libre usage qui, selon le Rapport 2015 de Creative Commons, s’appliquent déjà à plus d’1,2 milliard d’œuvres protégées, à travers 9 millions de sites web. Lorsqu’un auteur place une œuvre sous licence CC, il conserve ses droits d’auteur tout en la partageant gratuitement avec le public, selon les modalités et aux conditions de son choix.
Exploiter le plein potentiel des REL
Précisons que « ouvert » ne signifie pas « gratuit ». On peut accéder gratuitement à toutes les REL, mais tous les contenus gratuits ne sont pas des REL. Nombre de cours en ligne ouverts à tous (les fameux MOOC), par exemple, sont accessibles gratuitement, mais un MOOC ne sera considéré comme une REL que s'il est sous licence libre ou dans le domaine public. Une différence de taille lorsqu'on souhaite traduire un MOOC dans différentes langues et/ou le modifier pour l'adapter au contexte local afin de répondre aux besoins des étudiants.
Une REL peut être librement conservée (copiée), réutilisée (utilisée en l’état), révisée (adaptée, ajustée, modifiée), remixée (combinée avec différents contenus pour en produire un nouveau) et redistribuée (partagée avec des tiers) sans enfreindre la législation sur le droit d’auteur. Bien entendu, pour pouvoir exploiter le plein potentiel des REL, il faut aussi assurer l’accès de tous ‒ éducateurs et apprenants ‒ et en tous lieux aux infrastructures des technologies de l’information et de la communication (TIC) – ordinateurs, appareils mobiles et connectivité Internet.
Pour résumer, s’il y a des REL, c’est que : 1) les ressources éducatives existent sous forme numérique (elles sont généralement créées numériquement, même si on peut les mettre à la disposition des apprenants sous les deux formats, numérique et imprimé) et on peut les stocker, copier et distribuer pour un coût quasi nul ; 2) l’Internet permet à tout un chacun de partager facilement du contenu numérique ; et 3) grâce aux licences ouvertes de Creative Commons, on peut facilement et légalement conserver ses droits d’auteur tout en partageant tout aussi légalement les ressources éducatives qu’on a créées avec le monde entier.
Qu’est-ce qu’on y gagne ?
Lorsqu’ils optent pour les REL, les établissements d’enseignement supérieur favorisent diverses améliorations du dispositif éducatif. La première est une plus grande égalité d’accès : tous les étudiants peuvent accéder dès le premier jour à la totalité des ressources éducatives conçues pour leur permettre de réussir. Cela peut sembler évident, mais même aux États-Unis, les deux tiers des étudiants des universités n’achètent pas les manuels prescrits parce qu’ils n’en ont pas les moyens.
Le deuxième impact positif est que tous les étudiants accèdent à des contenus éducatifs pertinents et contextualisés qui ont été préparés à leur intention. Un professeur de Mumbai peut télécharger un manuel sous licence libre partagée par l’université de Barcelone, le traduire en hindi, et l’illustrer d’exemples ad hoc qui parleront à ses étudiants ou étudiantes.
Troisièmement, les résultats d’apprentissage s’améliorent ou restent inchangés, tandis que les coûts baissent à près de zéro. Lorsque tous les étudiants d’un cours ont accès à l’ensemble des ressources nécessaires dès le premier jour, ils réussissent. Selon une analyse parue en 2015 et portant sur plus de 16 000 étudiants du post-secondaire public, les étudiants utilisant des matériels ouverts ont des résultats universitaires équivalents, sinon meilleurs, que leurs camarades employant les manuels à l’ancienne (Lane Fischer, John Hilton, T. Jared Robinson et David Wiley : « A multi-institutional study of the impact of open textbook adoption on the learning outcomes of post-secondary students », Journal of Computing in Higher Education, 2015).
Quatrièmement, on constate aussi une amélioration du taux d’achèvement des études. Selon les données relevées au Tidewater Community College (Virginie, NDLT), les étudiants de diverses disciplines utilisant les REL ont obtenu des résultats jusqu’à 11 % supérieurs en termes tant d’achèvement des études que de réussite (Lane Fischer, John Hilton, David Wiley et Linda William: « Maintaining momentum toward graduation: OER and the course throughput rate », The International Review of Research in Open and Distributed Learning, 2016). Lorsqu’on leur donne accès à l’ensemble des ressources éducatives dont ils ont besoin pour aboutir, les étudiants terminent et réussissent leurs études. Et parce qu’un plus grand nombre d’étudiants achèvent les cursus entamés, la durée des études se réduit. Grâce aux REL, les établissements aident les étudiants à progresser vers leurs objectifs avec plus de rapidité et de succès, ce qui donne plus d’efficacité aux investissements publics.
Cinquième intérêt, une fois les REL introduites dans les espaces d’apprentissage, étudiants et enseignants peuvent opter pour des pratiques éducatives ouvertes – autrement dit, « des pratiques collaboratives prévoyant la création, l’utilisation et la réutilisation des REL, et des pratiques pédagogiques basées sur les technologies participatives, l’apprentissage par les pairs, la création et le partage de connaissances et l’autonomisation des apprenants », pour reprendre la définition de Catherine Cronin dans « Openness and praxis: exploring the use of open educational practices in higher education », publié dans l’International Review of Research in Open and Distributed Learning, 2017. Les étudiants deviennent coproducteurs, générateurs et créateurs de connaissances : ils peuvent créer, mettre à jour et améliorer les REL au fil de leur apprentissage.
Soutien politique exigé
Un des moyens pour les gouvernements de soutenir l’éducation ouverte est d’adopter une politique simple : exiger que les ressources éducatives financées sur les fonds publics soient sous licence libre.
Il suffit pour cela d’introduire dans les systèmes existants de financement des ressources éducatives (subventions, contrats et autres), des obligations de création sous licence libre, transformant leur contenu en REL, et faisant passer de « fermé » à « ouvert » la valeur par défaut de ces ressources financées par l’État. C’est un argument particulièrement valable en matière de politiques éducatives : car, dans la mesure où c’est le public qui finance ces ressources, il devrait avoir le droit de les utiliser sans coût supplémentaire et avec toute la latitude légale de les modifier pour répondre aux besoins locaux.
Tout cela semble aller de soi, mais n’est pourtant pas la règle. Car le plus souvent, hélas, des ressources savamment élaborées avec l’aide des deniers publics sont mises sur le marché de telle sorte que leur accès est réservé à ceux qui sont disposés à les payer une seconde fois. Or, pourquoi imposer ce surcoût aux citoyens d’un pays ?
Les gouvernements, les fondations et les établissements éducatifs peuvent et devraient mettre en œuvre des politiques d’accès ouvert en exigeant le passage sous licence libre des ressources éducatives dont ils ont financé la création. Les politiques vigoureuses rendent obligatoire la mise sous licence libre et en appliquent une définition claire, idéalement en appliquant la licence Attribution de Creative Commons (CC BY), qui concède des droits de pleine réutilisation à condition de mentionner le nom de l’auteur.
Par bonheur, ces politiques existent. En juin 2012, l’UNESCO a réuni en son siège un Congrès mondial des ressources éducatives libres, et publié une Déclaration de Paris sur les REL 2012, qui appelle les gouvernements à « encourager l’octroi de licences ouvertes pour les matériels éducatifs produits sur fonds publics ». Je suis heureux d’annoncer que de nombreux gouvernements ont suivi cette recommandation.
Pour conclure, si l’on veut généraliser les REL, si l’on veut disposer de REL pour tous les niveaux d’éducation, toutes les matières et dans toutes les langues, adaptées aux besoins locaux, et obtenir les fonds nécessaires pour financer leur création, leur adoption et leur actualisation régulière, alors il faut (1) une prise de conscience générale et un soutien systématique en leur faveur, et (2) une large adoption de politiques d’octroi de licences éducatives ouvertes. Lorsque tous les éducateurs se passionneront pour l’accès libre et ouvert à ces ressources, que nous aurons changé les règles financières, que l’accès par défaut à l’ensemble des ressources éducatives produites sur fonds publics sera « ouvert » et non « fermé », alors nous vivrons dans un monde où chacun aura accès à l’éducation qu’il désire.
Avec cet article, Le Courrier de l'UNESCO marque le 2ème Congrès mondial des REL, qui se tient le 17 septembre, à Ljubljana, Slovénie.
Cable Green et l'UNESCO