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La Philosophie: une responsabilité cosmique

La philosophie peut aiguiser le sens critique – tel est l’enseignement principal qui ressort de ce dossier du Courrier de l’UNESCO publié à l’occasion de la Journée mondiale de la philosophie (15 novembre). Huit philosophes contemporains, de sensibilités et cultures différentes, y livrent leurs réflexions sur le rôle de la philosophie aujourd’hui.

Ils s’insurgent contre les dogmatismes et les discours manipulateurs. Ils s’inquiètent de l’intolérance et de la monté des fanatismes. Ils nous rappellent aussi que nous sommes des primates et que nous devrions avant tout nous occuper de notre planète. Et ils préconisent une philosophie qui ne se contente pas de rester sur le terrain du verbe.

« Je ne crois pas du tout à ce qu’on appelle couramment aujourd’hui la mort de la philosophie », écrivait en 1972 le philosophe français Jacques Derrida. Les philosophes qui s’expriment dans ce dossier non plus. Mais ils reconnaissent aussi que la philosophie n’a pas l’impact qu’elle pourrait avoir sur la société et que les philosophes eux-mêmes y sont pour quelque chose. Et comment pourraient-ils se rendre utiles ? « En évitant de parler de manière absconse, fumeuse, incompréhensible, à quelques amateurs de logiques sectaires jouissant de rester entre eux et de se reproduire intellectuellement de manière incestueuse… », répond Michel Onfray (France), un philosophe qui a bien les pieds sur terre.

Ce n’est pas Jostein Gaarder (Norvège) qui le contredira, lui qui préconise une philosophie qui puisse nous aider à rédiger le mode d’emploi du vaisseau spatial Terre. « La philosophie n’est rien moins que l’éloge de la conscience humaine », dit-il. « N’est-il pas alors du devoir du philosophe d’être le premier à la défendre contre l’anéantissement ? » Ici, l’auteur du Monde de Sophie nous prévient : « Nous sommes la première génération à peser sur le climat de la Terre – et sans doute la dernière à ne pas avoir à en payer le prix ».

Quant à la philosophe turque Ioanna Kuçuradi, elle explore le terrain du verbe pour dénoncer une certaine confusion sémantique qui règne notamment dans le discours politique. Elle s’intéresse au mot « valeur », par exemple, qu’elle définit comme un « fourretout » en précisant : « À une époque où la quête de sens conduit des individus à se transformer en bombes humaines, on attend aussi des philosophes qu’ils statuent sur le concept de valeur et sur les concepts attachés aux valeurs éthiques ». 

« Il est rare que les dictateurs oppriment toute une population », constate Peter J. King (Royaume-Uni). « Ils persuadent une fraction de l’aider à opprimer le reste, et le font généralement à coups d’arguments fallacieux et de thèses médiocres mais séduisantes ». Encore un philosophe qui veut dissiper le brouillard verbal faits d’illogismes primaires et de duperies.

« Dans les pays soumis à des régimes autoritaristes, voire prédateurs, renchérit Mohammed Arkoun (Algérie), le retour de la religion traduit la quête d’un refuge ». Et il constate que la religiosité progresse aussi dans les sociétés les plus riches, entraînant la marginalisation de la pensée et de la culture philosophiques.

Abolissons l’autorité de la religion sur la morale, admettons que nous ne sommes pas infaillibles, n’imposons pas nos mœurs comme lois universelles : nous nous donnerons ainsi une chance d’établir un dialogue nous permettant d’éviter les conflits, ajoute Kwasi Wiredu (Ghana).

Woo-Tak Kee acquiesce. « Il y a une limite au rôle que la religion et la politique peuvent jouer dans la résolution des conflits opposant les cultures humaines. C’est aux philosophes qu’il revient de proposer des solutions », écrit ce philosophe sud-coréen qui lance ici un débat sur l’universalité de la philosophie ou, en d’autres termes, une philosophie en quête d’universalité au sein de la diversité culturelle.

C’est précisément la diversité de nos modes de vie qui conditionne l’humour, écrit M. E. Orellana Benado (Chili), qui a pris le parti d’attaquer la question de la philosophie sous l’angle du rire. « Le monde des hommes est fondamentalement absurde », dit-il, « C’est pourquoi extraire le comique de l’absurde et le reconnaître lorsqu’il se présente, nous aide à survivre ».

En marge de ce dossier, Le Courrier propose deux rétrospectives : l’une, reproduisant des entretiens parus dans notre magazine, « Le quartier des philosophes » ; l’autre, consacré aux « Philosophes célébrés par l’UNESCO ».

Jasmina Šopova, Rédactrice en chef

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Novembre 2007