Le courage de créer : des artistes s’engagent pour l’égalité des genres
L’édition 2017 de la Journée internationale de la femme était l’occasion idéale pour les artistes et les professionnels de la culture de réfléchir à ce que signifie l’égalité des genres dans les arts et les industries créatives dans le monde. Alors que les obstacles concernant l’accès des femmes artistes au marché international des arts et leur contribution invisible à l’innovation dans l’expression artistique font depuis longtemps l’objet de débats, la journée de tables ronde intitulée « Le courage de créer : l’égalité des genres et les arts » s’est concentrée sur les réalisations de femmes pionnières et les nouvelles façons de parvenir à la parité et à la liberté artistique. Cet évènement, tenu à l’UNESCO le 10 mars 2017, était co-organisé avec le Comité national français des Nations Unies.
Laurence Rossignol, Ministre française des Familles, de l’Enfance et Droits des femmes, a ouvert l’évènement en déclarant « les droits des femmes sont sérieusement menacés à travers le monde » mais que les arts pouvaient être une façon de résister à de tels dangers. Madame Fanny Benedetti, Directrice exécutive du Comité ONU Femmes France, a ajouté : « l’égalité des genres est un droit humain et la campagne HeForShe des Nations Unies rassemble les femmes et les hommes pour qu’ils prennent ensemble position et des actions afin de créer un monde plus égalitaire ».
Des progrès ont été faits dans certains domaines. Une récente étude réalisée en France par le Centre national du cinéma et l’image animée (CNC) sur « La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle » révèle que les films produits par des femmes pour la période 2015-2016 ont augmenté de 80%. Or, il existe encore d’importantes inégalités de salaire puisqu’aujourd’hui le salaire moyen d’une réalisatrice est 42,3% inférieur à celui de ses collègues masculins.
Les artistes et professionnels de la culture ont tout d’abord débattu de la façon dont la création artistique pouvait déconstruire les stéréotypes liés au genre. La réalisatrice palestinienne Maysaloun Hamoud et le producteur israélien Shlomi Elkabetz ont parlé de leur film acclamé par la critique « Je danserai si je veux ». Le film raconte l’histoire de trois palestiniennes aux personnalités très différentes qui partagent un appartement à Tel Aviv, et les épreuves qu’elles doivent traverser pour trouver l’équilibre entre leur désir de liberté et d’indépendance, et les attentes de leur société. Comme le déclare Shlomi Elkabetz, « ce film va plus loin que les habituelles représentations de genre et les dichotomies entre les hommes et les femmes, les israéliens et les palestiniens. Le cinéma est un puissant outil pour mettre à l’épreuve ces stéréotypes, pour créer de nouvelles représentations et pour inspirer le changement ».
Jackie Buet, Directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil, a appelé à une plus grande variété dans la représentation du rôle des femmes dans le cinéma. « À travers ce festival unique, nous nous sommes engagés à donner une place aux femmes, à reconnaitre leurs productions culturelles, à soutenir leurs efforts pour apporter le changement dans leur travail créatif », a-t-elle souligné.
Les musiciens Victor Solf et Simon Carpentier du groupe Her ont décrit combien il était important de reconnaître les talents et les réalisations des femmes en tant que créatrices et entrepreneures culturelles, en notant que la majorité de leur équipe – de leur agent à leurs producteurs – étaient des femmes.
Le courage de créer
La liberté d’expression artistique pour les femmes était également au cœur des débats. D’après Ole Reitov, Directeur exécutif de Freemuse, alors qu’être un artiste est difficile, être une femme artiste l’est encore plus. Dans son rapport « Arts Under Threat » (Menace sur l’art) récemment publié, Freemuse a mis en avant de nombreux cas d’attaque et violation des droits des femmes artistes. Il a appelé de ses vœux la mise en place d’un « système d’alerte rapide pour la culture » pour les expressions créatives menacées dans la mesure où les femmes sont souvent les premières victimes. Rappelant le rôle clé de l’UNESCO, il a déclaré qu’il était « nécessaire pour les pays dans le monde de mettre en œuvre pleinement la Convention 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, puisqu’elle est un outil de politique efficace et impérieux pour assurer la liberté de création et la diversité dans les arts ».
Deeyah Khan, chanteuse, cinéaste et Ambassadrice de bonnes volonté de l’UNESCO pour la liberté artistique et la créativité a parlé avec passion de la nécessité d’inclure les femmes dans tous les secteurs créatifs : « Ce n'est pas seulement une question de représentation, mais aussi d'autonomisation. Les femmes font face à des systèmes de barrage qui peuvent ouvrir ou fermer des opportunités d’avancement dans leur carrière artistique. Les femmes doivent exercer leurs libertés et être capables de faire leurs propres choix et participer aux décisions qui déterminent le cours de la société, tout comme les hommes le font ».
Suzanne Combo, compositrice et co-fondatrice de la Guilde des artistes musiciens (GAM) a fait écho de ces expériences. En tant que membre de divers organes directeurs culturels, elle a décrit le sexisme ordinaire auquel elle fait face. « Les femmes restent peu représentées dans les postes décisionnels. J’ai souvent été la seule femme présente lors de comités. Les perspectives et contributions des femmes doivent se déplacer de la marge au centre de la vie culturelle ».
L’espace numérique ouvre de nouvelles opportunités
De nouvelles opportunités ont été ouvertes par de nouveaux domaines créatifs. L’artiste norvégienne Pia Myrvold a indiqué que les arts numériques avaient apporté de nouvelles opportunités malgré le persistant manque de reconnaissance social. « Beaucoup de femmes ont été pionnières dans l’utilisation des médias numériques comme outils artistiques et comme moyens d’expression. Elles ont réussi à créer leur propre espace artistique », a-t-elle déclaré.
Jepchumba, elle aussi artiste numérique, fondatrice et directrice artistique d’African Digital Art, a révélé une situation semblable. Celle d’aller de l’avant et ignorer l’ignorance de ceux qui disent qu’il n’y a pas d’art numérique en Afrique ni de femme artiste numérique. À travers African Digital Art, « nous avons repoussé les frontières et fourni une plateforme pour l’innovation, et inspiré les designers et artistes africains dont le travail ou la pratique artistique utilisent les technologies numériques en tant que part essentielle du processus créatif, de présentation et de distribution. J’ai aussi mis en place une nouvelle école pour former les filles et jeunes femmes à créer de façon très contemporaine et stimulante en utilisant les technologies numériques ».
Octavio Kulesz, premier éditeur numérique d’Amérique Latine et auteur du chapitre sur les politiques numériques du rapport mondial 2015 de l’UNESCO « Re|Penser les politiques culturelles », est allé dans le même sens en disant que la plupart des compagnies œuvrant dans le domaine de la technologie était encore dominée par les hommes. Il a réitéré un thème qui est souvent revenu dans les discussions de cette journée en ajoutant que sans la représentation et la participation active des femmes dans le secteur culturel, on ne peut pas réellement promouvoir la diversité des expressions culturelles.
« Nous savons que les données et les informations sur le statut de la femme dans les industries culturelles et créatives sont rares. À travers notre travail de suivi de l’impact de la Convention 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, nous espérons combler ce manque de connaissance et faire apparaître de nouvelles recommandations politiques. La seconde édition de notre rapport mondial, qui sera publié à la fin de cette année, apportera de nouvelles connaissances approfondies et sources d’inspiration », a conclu Jyoti Hosagrahar, Directrice de la Division pour la créativité du Secteur de la culture de l’UNESCO.