Concepts clés

Interculturel
Est interculturel ce qui se produit lorsque des personnes appartenant à deux ou plusieurs groupes culturels différents (quelle qu’en soit la taille et à quelque niveau que ce soit) interagissent ou s’influencent les unes les autres, soit directement en personne, soit indirectement sous d’autres formes. Une définition large de ce terme engloberait les interactions politiques ou économiques internationales dans le cadre desquelles des personnes de deux ou plusieurs pays agissent ou exercent une influence les uns sur les autres de quelque façon. L’interaction directe de cultures entières constituant une impossibilité logistique, des entités politiques comme les États-nations doivent évidemment faire appel à des individus pour représenter leurs intérêts dans les contacts avec d’autres individus représentant des entités comparables. Complication supplémentaire : aucun être humain n’appartient à une seule culture – chacun a en fait plusieurs identités, plusieurs affiliations culturelles, même si les autres n’ont pas conscience des différents « moi » qui restent dans l’ombre derrière le moi pertinent et visible dans une interaction particulière. Ces différentes identités jouent chacune un rôle significatif dans des contextes différents ou à différentes étapes de la vie, mais elles peuvent aussi être présentes simultanément. Une famille élargie, des voisins dans un immeuble d’appartements, des collègues de travail, des personnes pratiquant un sport particulier, ayant le même hobby ou pratiquant la même religion, ou dont les parents sont originaires de la même localité : tous ces groupes développent des sous-cultures ou co-cultures6, c’est-à-dire leur propre manière d’être dans le monde, leurs propres attentes, traditions et objectifs. La communication en apparence intraculturelle (c’est-à-dire la communication entre personnes appartenant à un même groupe culturel) requiert donc fréquemment des compétences interculturelles non négligeables.
Alphabétisme culturel
Cette nouvelle compétence de base peut être considérée comme partie intégrante de la panoplie plus large de visions du monde, d’attitudes et de compétences que doivent acquérir les jeunes en vue de leur voyage tout au long de la vie. C’est là une nouvelle compétence de base, tout aussi importante que la lecture, l’écriture ou la maîtrise du calcul : l’alphabétisme culturel, qui est devenu une clé de voûte du monde d’aujourd’hui, une ressource fondamentale pour mettre à profit les multiples formes que peut prendre l’éducation – depuis la famille et la tradition jusqu’aux médias, anciens ou nouveaux, et aux groupes et activités informels – ainsi qu’un outil indispensable pour surmonter le ‘choc des ignorances’. (Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel, UNESCO, 2009)
Alphabétisme interculturel
L’alphabétisme interculturel, que l’on pourrait définir comme l’ensemble des savoirs et des aptitudes nécessaires à la pratique des compétences interculturelles, est devenu un outil essentiel de la vie moderne, parallèlement au développement de la maîtrise de l’information et de l’initiation aux médias (Dragićević Šešić et Dragojević, 2011). L’intérêt de cette formule est qu’elle suggère que, comme pour d’autres formes d’alphabétisme, un certain degré d’enseignement actif ou d’apprentissage par l’exemple est requis, mais pas nécessairement dans le cadre de l’éducation formelle. L’échange d’expériences, la conversation et la pratique de la narration font partie des moyens grâce auxquels les personnes appartenant à des groupes divers parviennent à se comprendre mutuellement. Comme l’indique Luhmann (1990), il importe de reconnaître le « caractère improbable de la communication », en constatant que les nombreuses différences qui existent entre groupes rendent très peu probable la compréhension mutuelle et en mettant en valeur, par conséquent, les moments où les individus parviennent effectivement à communiquer à travers les frontières culturelles, au lieu de remarquer seulement les occasions où cette communication échoue. Certaines études sur la traversée des frontières entre disciplines (Dillon, 2008 ; Gieryn, 1983 ; Postlethwaite, 2007) ou les objets frontières utilisés pour franchir des frontières (Star et Griesemer, 1989 ; Trompette et Vinck, 2009) seraient sans doute pertinentes dans l’optique de l’acquisition des compétences interculturelles. Les objets frontières sont des objets qui conservent suffisamment de sens d’un contexte à l’autre et que les participants peuvent utiliser pour débattre de notions qui, autrement, resteraient difficiles à saisir (ou qui sont définies de manière différente).
Apprendre à vivre ensemble
Apprendre à vivre ensemble – l’un des quatre piliers ayant été identifiés comme étant les fondations de l’éducation (apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble, apprendre à être). Apprendre à vivre ensemble dans un monde interdépendant croissant, risquant ainsi tant l’homogénéisation culturelle que la fragmentation culturelle, signifie que chaque personne devrait être capable de comprendre les enjeux derrière les différences culturelles ainsi que les bénéfices potentiels du changement culturel. (J. Delors, L’éducation : un trésor cache dedans, UNESCO, 1996).
Learning to live together in an increasingly globalizing world, and thus at risk both of cultural homogenization and cultural fragmentation, means that everyone should be able to understand the stakes behind cultural differences and the potential benefits of cultural change. (J. Delors, Learning: The Treasure Within, UNESCO, 1996).
Citoyenneté interculturelle
La citoyenneté interculturelle désigne un nouveau type de citoyen, celui dont le nouveau village mondial a besoin. Traditionnellement, un citoyen a besoin de certains droits et de certains devoirs en relation avec une entité politique telle qu’une ville, un État ou un pays, mais aujourd’hui où le monde se rétrécit et où la compréhension de l’universalité progresse, une forme nouvelle de citoyenneté interculturelle est nécessaire. De même qu’un citoyen compétent participe à des activités qui aident et ne nuisent pas à la ville, l’État ou le pays auquel il appartient, un citoyen interculturel compétent doit prendre en considération et respecter dans ses paroles, ses actes et ses convictions un contexte géopolitique et socioculturel toujours plus large. Tenir compte de l’impact de ses paroles, de ses actes et de ses convictions sur les personnes vivant dans d’autres villes, États ou pays est devenu un aspect essentiel d’un comportement responsable dans le monde moderne. La citoyenneté interculturelle, qui vise à concilier simultanément beaucoup d’identités et de contextes différents, présuppose l’aptitude à s’engager dans un dialogue interculturel en respectant les droits de « l’autre » et dans l’idéal, de représenter une étape de la promotion de la paix.
Communication
La communication, souvent décrite comme la transmission d’un message d’une personne à une autre, devrait être conçue plus exactement comme la construction conjointe (ou co-construction) de sens (Galanes et Leeds-Hurwitz, 2009). La communication comprend le langage, ainsi que des comportements non verbaux, allant de l’utilisation de sons (paralangage), de mouvements (kinésique), de l’espace (proxémie) et du temps (chronémie) à de nombreux aspects de la culture matérielle (aliments, habits, objets, conception visuelle, architecture), et peut être envisagée comme le versant actif de la culture. Si la culture est définie comme un élément assez statique rappelant la forme du substantif et englobant les connaissances, les comportements, la langue, les valeurs, les croyances et les attitudes qu’acquièrent par expérience les acteurs sociaux depuis l’enfance, la communication représente l’élément plus actif correspondant à la forme verbale : l’acte de transmission d’une génération d’acteurs sociaux à une autre de la langue, ainsi que des connaissances, comportements, valeurs, croyances et attitudes propres à une culture (Leeds-Hurwitz, 1989).
Compétence communicationnelle
La compétence communicationnelle implique à la fois la compréhension et l’utilisation de mots appropriés et d’autres formes de communication accessibles non seulement au locuteur/acteur mais aussi à d’autres. Hymes (1967, 1972, 1984) a souligné que savoir aligner des mots dans une phrase n’est que le commencement de la communication ; les locuteurs doivent aussi apprendre à se familiariser avec de nombreuses situations sociales et culturelles pour savoir quand prononcer certains énoncés au moment adéquat, en tenant compte de divers éléments contextuels. Apprendre à communiquer de façon adéquate avec « l’autre » exige beaucoup plus que le simple apprentissage des règles élémentaires de grammaire d’une langue ; il faut apprendre aussi des règles d’utilisation pour parvenir à la compétence communicationnelle. Savoir ce que l’on peut dire à quelle personne, dans quel contexte et avec quelles connotations n’est jamais tout à fait simple mais le but est d’acquérir cette compréhension complexe.
Compétences interculturelles
Les compétences interculturelles évoquent le fait de disposer de savoirs adéquats au sujet de cultures particulières, ainsi que de connaissances générales sur les questions qui peuvent se poser dans les contacts entre personnes de cultures différentes, de manifester une attitude réceptive qui encourage l’établissement et le maintien de relations avec divers « autres » et d’avoir acquis l’aptitude à utiliser ces connaissances et cette réceptivité dans les interactions avec les individus appartenant à des cultures différentes. Les compétences interculturelles peuvent être regroupées comme suit : savoirs (connaissance d’une culture), savoir comprendre (aptitude à l’interprétation/aux contacts), savoir apprendre (aptitude à la découverte/interaction), savoir être (curiosité/ ouverture) et savoir s’engager (aptitude à la réflexion critique sur le plan culturel), pour reprendre les catégories de Byram (1997, 2008 ; voir la discussion dans Holmes, 2009). Des travaux importants ont été consacrés à l’analyse de ces aspects essentiels des compétences interculturelles par des chercheurs de diverses disciplines (Byram, 1997 ; Chen et Starosta, 1996 ; Guilherme, 2000 ; Deardorff, 2009). Il s’agit aujourd’hui de s’appuyer sur les travaux existants pour finalement les dépasser et produire un cadre théorique plus large pour étendre et développer ces idées initiales. Afin de tenir compte des relations mutuelles complexes entre les divers éléments en jeu, le terme « compétences » est généralement utilisé au pluriel. Parfois, les interactions interculturelles se déroulent de manière satisfaisante : les acteurs s’écoutent et se comprennent et parviennent même dans certains cas à un accord autour de certaines idées ou actions. D’autres fois, par contre, elles tournent mal et conduisent au malentendu, à la dispute, au conflit, voire à la guerre. L’aptitude à favoriser la discussion de questions difficiles ou cruciales concernant, par exemple, des valeurs, des croyances ou des attitudes entre des personnes faisant partie de groupes culturels différents, de manière à éviter le conflit, constitue alors une compétence interculturelle nécessaire. La compétence communicationnelle interculturelle (comme le suggérait Hymes, mais la formule est généralement attribuée à Byram, 1997) occupe donc une place centrale parmi les différentes compétences interculturelles. Les acteurs sociaux doivent être capables de produire des discours et des comportements significatifs, et ce d’une manière qui soit comprise comme pertinente en contexte par les autres acteurs concernés. La notion de compétence communicationnelle développée par Hymes a été largement appliquée dans l’enseignement des langues, où les élèves ont évidemment besoin non seulement d’apprendre à former des phrases grammaticalement correctes mais aussi de savoir « quand dire quoi à qui » (Canale et Swain, 1980 ; Celce-Murcia, 2007). Le contexte est déterminant dans l’interprétation du langage et du comportement, et c’est cet aspect qui est le plus difficile à saisir pour toute personne extérieure à un groupe. Un même comportement pouvant avoir une signification différente à l’intérieur de groupes culturels différents, penser que des paroles ou des actes seront interprétés d’une certaine façon ne peut empêcher qu’ils soient compris de façon tout à fait différente. Pearce (1989) emploie le terme de communication cosmopolite pour décrire l’interaction entre personnes ayant acquis une grande compétence communicationnelle interculturelle, en déclarant que « lorsqu’elle est bien exécutée – avec un haut degré de maîtrise sociale – la communication cosmopolite rend possible la coordination entre des groupes aux réalités sociales différentes et même incommensurables » (p. 169). Hannerz (1996) emploie le terme « cosmopolite » avec une connotation semblable, mais nombre d’auteurs donnent à ce mot un sens assez différent (Coulmas, 1995).
Les expressions ou termes ci-dessous apparaissent moins fréquemment dans les discussions sur les compétences interculturelles. S’ils sont présentés ici, c’est parce qu’ils mettent en lumière certains aspects qui, autrement, seraient ignorés – ou parce qu’ils permettent de nommer des réalités qui, sans eux, seraient difficiles à comprendre et discuter. Il s’agit donc d’un vocabulaire important pour permettre l’examen de certains aspects spécifiques des compétences interculturelles, qui mériteraient une plus grande attention que celle dont ils ont bénéficié à ce jour.
Compétence
La compétence désigne le fait de disposer d’aptitudes, de capacités, de connaissances ou d’une formation suffisantes pour assurer un comportement approprié, en paroles ou en actes, dans une situation particulière7. La compétence comprend des éléments de nature cognitive (connaissances), fonctionnelle (application des connaissances), personnelle (comportement) et éthique (principes pour guider le comportement). La capacité de savoir doit donc s’accompagner d’une capacité à s’exprimer et à agir de façon adéquate en situation ; l’éthique et la prise en compte des droits de l’homme doivent informer aussi bien les paroles que les actes. Généralement, la compétence ne dépend pas d’un seul type d’aptitude, d’attitude ou de savoir mais fait appel au contraire à un assortiment complexe d’aptitudes, d’attitudes et de connaissances. Les aptitudes mentionnées en général comme les plus directement pertinentes pour la compréhension des compétences interculturelles incluent : l’observation, l’écoute, l’évaluation, l’analyse, l’interprétation, l’aptitude relationnelle (y compris l’autonomie individuelle), l’adaptabilité (notamment la résilience psychologique), l’aptitude à ne pas porter de jugement, la gestion du stress, la métacommunication (l’aptitude à communiquer sur la communication, en se plaçant à l’extérieur d’une relation pour réfléchir à ce qui s’est passé ou va se passer ; Leeds- Hurwitz, 1989) et l’aptitude à résoudre les problèmes de façon créative. (Le Rapport mondial de suivi de l’EPT 2012 intitulé Jeunes et compétences : l’éducation au travail distingue trois types de compétences : les compétences fondamentales qui englobent, au niveau le plus élémentaire, les compétences de base en lecture, écriture et calcul nécessaires à l’acquisition des deux autres types de compétences ; les compétences transférables, qui comprennent la capacité de résoudre des problèmes, de communiquer efficacement des idées et des informations, de faire preuve de créativité, de leadership et de conscience professionnelle, ainsi que d’esprit d’entreprise ; et les compétences techniques et professionnelles, qui correspondent au savoir-faire technique spécifique requis dans différents contextes.8) Les différentes attitudes requises pour les compétences interculturelles ont été précisées plus haut (voir « Valeurs, croyances et attitudes »). Les connaissances pertinentes comprennent : la conscience culturelle de soi, la conscience culturelle d’autrui, les connaissances culturelles spécifiques, les connaissances culturelles générales, et aussi des connaissances relevant de la sociolinguistique (par exemple sur des questions comme la permutation de code ou l’utilisation l’ethnocentrisme, le relativisme ethnique et les « chocs » ou « contre-chocs » culturels.
Convivialité
Convivialité est le terme employé par Illich pour désigner « les relations autonomes et créatives entre individus, et les relations des individus avec leur environnement (...) dans toute société, si la convivialité descend au-dessous d’un certain seuil, la productivité industrielle, aussi élevée soit-elle, ne pourra satisfaire efficacement les besoins qu’elle fait naître parmi les membres de la société » (1973, p. 24). La convivialité n’apparaît pas d’elle-même : elle doit être établie comme but spécifique et encouragée de diverses manières. La convivialité est à la fois rendue possible par les contacts entre mondes sociaux, qu’il s’agisse des organisations où les gens travaillent ou des quartiers où ils vivent, et elle y contribue. La gestion des interactions entre les divers mondes sociaux ne requiert pas des valeurs, des croyances et des attitudes communes, mais seulement une curiosité partagée, un intérêt commun et la tolérance. La convivialité modifie en définitive notre perception de la nature des relations sociales entre individus et groupes ; elle se rapproche d’une conception du monde de type asiatique qui valorise le relationnel, la circularité et l’harmonie, et place par conséquent l’interconnexion et l’interdépendance au-dessus de l’individualité (Miike, 2003).
Creativité
La créativité est la ressource la plus également répartie dans le monde. C’est en effet notre capacité à imaginer qui nous donne la résilience voulue pour nous adapter à des écosystèmes différents et à inventer des « manières de vivre ensemble », pour reprendre l’expression employée par la Commission mondiale de la culture et du développement pour décrire la culture. La résilience aidera les individus et les décideurs à créer ou à réformer des institutions aux fins de la gouvernance démocratique, de la sociabilité et des échanges mondiaux. Une fois que l’on reconnaît l’ampleur des possibilités offertes par les différentes cultures, ainsi que le caractère continu du changement, comment y répondre autrement que par la créativité ? Les contacts avec « l’autre » stimulent la créativité. Les personnes qui nous ressemblent le plus sont toujours les plus faciles à comprendre, mais c’est avec celles qui diffèrent de nous que nous avons les échanges les plus fructueux. La nature humaine, heureusement, incite à explorer les différences et à apprendre pour le plaisir d’apprendre. La créativité constitue à cet égard la source même de la diversité culturelle, c’est-à- dire les formes multiples d’expression culturelle des groupes et des sociétés qui contribuent à ouvrir de nouvelles formes de dialogue, à transformer les points de vue et à créer des liens entre individus, sociétés et générations dans le monde entier. Autrement dit, la créativité implique un processus constant de soutien, d’amplification et de régénération de la diversité culturelle dans le temps et dans l’espace, afin de continuer à susciter des expressions nouvelles et des significations nouvelles pour notre temps et pour les générations futures (UNESCO, 2001, article 1).
Diversité culturelle
Par la diversité culturelle on entend l’existence d’une grande variété de cultures dans le monde aujourd’hui. La diversité culturelle permet – et les compétences interculturelles exigent – la compréhension de chaque culture comme une option seulement parmi de nombreuses possibilités. La diversité culturelle exige – et les compétences interculturelles permettent – la capacité de transmettre à « l’autre », en communiquant avec lui, des informations sur sa propre culture et d’interpréter les informations concernant « l’autre » et sa culture. La culture est le produit d’une négociation constante avec les membres du groupe auquel on appartient ; la communication est le moyen grâce auquel cette négociation a lieu. Les interactions interculturelles sont le produit de négociations comparables avec les membres d’autres groupes ; la communication interculturelle est le moyen grâce auquel ces négociations ont lieu. La diversité culturelle est donc
« un mécanisme pour organiser le dialogue le plus productif possible entre des passés pertinents et des futurs désirables » (UNESCO, 2002, p. 11).
Cultural Identity
Le terme « identité culturelle » désigne les aspects de l’identité communs aux personnes appartenant à une certaine culture, qui, envisagés globalement, les distinguent des membres d’autres cultures. Comme la plupart des formes d’identité, l’identité culturelle est socialement construite – c’est-à-dire que les groupes créent d’abord ce qu’ils s’approprient ensuite, par exemple le fait de parler une langue particulière, de manger certains aliments ou de respecter certaines pratiques religieuses. Les identités des individus sont multiples et elles évoluent dans le temps (Hecht, 1993), étant construites et reconstruites par la communication dans les interactions interculturelles. S’il est facile de se représenter « l’autre » comme doté d’une identité singulière et monolithique, chaque individu sait bien que son identité propre est quelque chose de plus complexe, recouvrant en fait plusieurs identités pertinentes dans des contextes différents comme le genre, la classe, l’âge, l’appartenance ethnique, la région, l’histoire, la nationalité ou la profession, chacune d’elles pouvant devenir pertinente à divers moments de la journée d’une même personne. Ces identités changent avec le temps : l’enfant grandit et devient un parent ; le citoyen d’un pays quitte son pays d’origine et devient citoyen d’un autre pays ; l’étudiant obtient son diplôme et devient un enseignant. La reconnaissance du caractère pluriel et de la fluidité de l’identité complique l’analyse du pluralisme culturel (car elle implique qu’il n’est pas possible de classer avec exactitude les individus sur la base de leur appartenance à un seul groupe). Elle peut aussi, dans le même temps, contribuer à simplifier le dialogue interculturel : chaque individu circulant dans sa vie entre des identités distinctes, il paraît juste de supposer que « l’autre » appartient, lui aussi, à plusieurs groupes à la fois. Étant construites, les identités se communiquent d’un individu à l’autre et se transmettent d’une génération à l’autre, de la façon la plus explicite de parents à enfants. Les enfants de parents élevés dans des cultures différentes sont un exemple évident d’individus détenant plusieurs identités culturelles, car ils deviennent souvent compétents dans toutes les cultures en question (voir, par exemple, Akindes, 2005).
Permutation culturelle
La permutation culturelle désigne la capacité cognitive et comportementale que possède une personne dotée de compétences interculturelles de changer de langue, de comportement ou de gestes en fonction de ses interlocuteurs et du contexte ou de la situation au sens large11. Cette capacité est spécialement pertinente en présence de concepts dont le sens est évident dans un contexte culturel particulier mais qui requièrent de très longues explications pour être compris de personnes non encore familiarisées avec ce contexte. L’humour est un exemple particulièrement intéressant de contenu exigeant une telle capacité, étant donné le degré approfondi de connaissance du contexte culturel requis des personnes extérieures à un groupe pour comprendre ce qui fait rire les membres du groupe. Les indices de contextualisation, expression employée à ce propos par Gumperz (1992), désignent les différents moyens qu’utilisent les acteurs pour communiquer des informations utiles à l’interprétation de leurs paroles et de leurs actes. La permutation culturelle et les indices de contextualisation expliquent pour l’essentiel comment les acteurs sociaux réussissent à se comprendre lorsqu’ils le font. Ils prennent, bien entendu, des formes particulières dans chaque culture et sont d’ailleurs souvent source d’ambiguïté dans les relations sociales : même lorsque des locuteurs ont l’impression d’avoir été très clairs, des personnes familiarisées avec une autre culture peuvent ne pas comprendre la dénotation (sens littéral) d’un mot ou d’un énoncé, et encore moins ses connotations (sens indirects, implicites). Les compétences interculturelles comprennent, par conséquent, l’aptitude à prévoir les cas où l’ambiguïté peut être source de confusion. Fournir une explication préalable, afin d’éviter tout malentendu, est un moyen de répondre à ce problème, en évitant d’avoir à réparer les choses après coup.
Culture
La culture est l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et psychologiques, d’une société ou d’un groupe social et englobe la totalité des manières d’être existant au sein d’une société ; elle comprend, au minimum, l’art et la littérature, les modes de vie, les manières de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances (UNESCO, 1982 et 2001). Chaque culture est la somme des présupposés et des pratiques que partagent les membres d’un groupe et qui les distinguent d’autres groupes ; c’est pourquoi les caractéristiques d’une culture se dégagent plus clairement lorsqu’on la compare à une autre culture dont les pratiques sont différentes. Cependant, les cultures sont elles-mêmes multiples et, pour les individus qui en font partie, chaque groupe apparaît non pas comme quelque chose d’homogène, mais plutôt comme l’enchâssement d’une série de groupes de taille plus réduite, dont les membres ont très fortement conscience de ce qui les distingue les uns des autres. Les cultures sont rarement elles-mêmes l’objet de la discussion sur les compétences interculturelles, car les cultures n’ont pas d’existence en dehors des individus qui les produisent et les font vivre. Il est donc plus pertinent de focaliser l’attention sur les membres des groupes culturels.
Dialogue
Le dialogue est une forme de communication (le plus souvent linguistique, mais pas toujours), qui a lieu lorsque des acteurs ayant leur propre point de vue tout en reconnaissant l’existence de points de vue autres, différents, sont ouverts à la connaissance de ces derniers. En tant que tel, le dialogue se distingue d’autres formes de communication comme le soliloque (dans lequel un seul locuteur s’adresse à une ou plusieurs personnes et où la communication est unidirectionnelle) ou le débat (qui se compose pour l’essentiel de monologues successifs, chaque locuteur présentant son point de vue aux autres, sans prêter attention, ni réfléchir, ni répondre sérieusement à ce qu’ils disent). Le dialogue exige à la fois de parler (de ses idées, ses intérêts, ses passions ou ses préoccupations) et d’écouter (ceux des autres), mais le dialogue implique surtout de « demeurer dans une tension entre la volonté de conserver son point de vue et l’ouverture véritable à celui de l’autre » (Pearce et Pearce, 2004, p. 46). Le dialogue requiert la compréhension mais pas nécessairement l’accord, même si le fait d’écouter des points de vue différents a souvent pour objectif ultime le compromis entre des vues concurrentes, la planification en commun ou la résolution de problèmes. Le dialogue peut n’être qu’un point de départ en vue d’un accord ou d’un compromis mais, sans lui, les acteurs n’ont guère de chances de parvenir à l’un ou l’autre. Les objectifs du développement durable et de la cohésion sociale exigent que des groupes culturellement divers apprennent à participer au dialogue interculturel. Heureusement, le dialogue interculturel peut à la fois s’apprendre et s’enseigner, car « ouvrir le dialogue, c’est s’engager dans une conversation où l’on apprend » (Spano, 2001, p. 269). Comme le disent Pearce et Littlejohn, le dialogue est un « échange transformationnel » (1997, p. 215). Penman indique que tout dialogue exige « un engagement de collaborer mutuellement » (2000, p. 92). À titre de mémoire, le mot « dialogue » provient du terme grec dia-logos, généralement mal traduit et mal interprété à cause d’une confusion entre duo et dia. Il ne désigne pas une conversation entre deux personnes ou deux groupes mais la volonté de deux ou plusieurs participants d’échanger et de comparer leurs arguments respectifs. Le préfixe dia- est l’équivalent du latin trans-, qui indique un déplacement important dans l’espace, le temps, la matière ou la pensée. Le dialogue n’a pas pour but de parvenir à une conclusion définitive. Il s’agit d’un moyen constamment renouvelé de relancer le processus de réflexion et de remise en cause des certitudes, afin d’aller de découverte en découverte.
Dialogue interculturel
Le terme dialogue interculturel désigne spécifiquement le dialogue qui a lieu entre des personnes appartenant à des groupes culturels différents. Celui-ci présuppose que les participants acceptent d’écouter et de comprendre de nombreux points de vue différents, y compris ceux de groupes ou d’individus avec lesquels ils sont en désaccord. Selon l’UNESCO, le dialogue interculturel contient l’aptitude à remettre en cause les certitudes bien établies fondées sur des valeurs en mettant en jeu la raison, l’émotion et la créativité afin de parvenir à une nouvelle compréhension commune. Ce faisant, il va bien au- delà de la simple négociation, où sont en jeu principalement des intérêts politiques, économiques et géopolitiques. Il s’agit d’un processus incluant l’échange ouvert et respectueux d’opinions entre des individus et des groupes différents par l’appartenance et le patrimoine ethniques, culturels, religieux et linguistiques, sur la base de la compréhension et du respect mutuels. D’après le Public Dialogue Consortium, le dialogue est « inclusif et non exclusif (...) la liberté d’expression va de pair avec le droit d’être entendu et le devoir d’écouter (...) les différences sont traitées comme des ressources et non comme des obstacles (...) le conflit est abordé dans un esprit de collaboration et non de confrontation (...) et les décisions sont prises de manière créative et non défensive »10. Ces caractéristiques constituent un bon point de départ pour tout dialogue interculturel. Bien que, dans le langage courant, on parle des relations ou du dialogue entre les cultures, ce sont en fait des individus qui mènent ces relations ou participent au dialogue interculturel, non les cultures elles-mêmes ; ce sont aussi des individus qui gèrent les échanges entre cultures avec des compétences interculturelles plus ou moins affirmées. Le problème est qu’un individu ne peut faire montre seul de telles compétences, car les relations interculturelles sont un processus construit conjointement par l’ensemble des participants. Si ceux-ci gèrent bien le processus, on peut dire qu’ils ont fait preuve de compétences interculturelles ; dans le cas contraire, il est tout à fait faux de dire que l’un d’eux était compétent et l’autre non : ils doivent plutôt reconnaître qu’ils se sont tous montrés incompétents. L’idée de co- construction, de fabrication conjointe de nos interactions avec « l’autre », est au cœur de toute rencontre interculturelle. Chaque rencontre vise à faire ou à créer quelque chose en commun avec au moins une autre personne ; c’est pourquoi il ne faut pas perdre de vue le processus d’interaction. En tout cas, le dialogue interculturel est le premier pas en vue de mettre à profit des traditions et des histoires culturelles différentes pour imaginer des solutions nouvelles à des problèmes communs. Le dialogue interculturel est donc un outil essentiel pour résoudre les conflits interculturels de manière pacifique et la condition préalable du développement d’une culture de la paix.
Disponibilité sémantique
La disponibilité sémantique est une notion développée par Hempel (1965) pour décrire la plasticité des idées, par exemple un concept compris de manière vague, pas suffisamment claire, un concept prêt à émerger mais pas encore pleinement formé, ou le fait d’avoir sur le bout de la langue un mot... qui n’existe dans aucune langue. Cette notion est complétée par celle d’idées chaudes (Bateson, 1979), qui désigne des idées encore incomplètes, en cours de formation. Bateson pensait que les idées devaient être maintenues dans cet état jusqu’à ce qu’on puisse les distiller, au lieu de leur donner trop rapidement une forme permanente. Débattre devient dans ces conditions difficile, parce que les locuteurs ont l’habitude de traiter les idées comme achevées, mais il pensait que l’effort en valait la peine. Blumer avait développé une idée proche, celle de concepts de sensibilisation qui « suggèrent dans quelles directions regarder » au lieu de « prescrire ce qu’il faut voir », comme le font les concepts définitifs (1954, p. 7). De même que les pensées chaleureuses, les concepts de sensibilisation fournissent un point de départ, un commencement seulement (Bowen, 2006).
Disposition
La disposition désigne l’état d’esprit acquis de façon progressive au cours de la socialisation primaire (famille) et secondaire (école). Il s’agit donc à la fois de quelque chose de personnel et de partagé socialement. Pour les sociologues, les dispositions sociales sont liées à l’appartenance à une classe sociale. Bourdieu (1977), par exemple, a choisi de réactiver le terme latin « habitus » (défini dans la tradition scolastique comme « principium ad actum ») pour désigner les catégories de perception, de jugement et d’action intégrées par l’individu ; d’autres sociologues contemporains ont développé des formules du type « dispositions + contexte = pratiques » (Lahire, 2012, p. 24) pour souligner le fait qu’une action n’a jamais lieu isolément sur la base d’une simple disposition. Une disposition n’est pas un déclencheur causal, car elle ne fait sentir son effet qu’à travers la médiation d’un contexte particulier. Il n’existe donc pas de simple « disposition interculturelle », que celle-ci soit xénophobe ou xénophile. Il y a toujours, d’une part, un contexte pour filtrer, diffracter ou amplifier la disposition et, d’autre part, une possibilité de socialisation tertiaire (par exemple via les médias) qui remodèle la disposition. Dans cette optique, l’éducation interculturelle devrait être encouragée à tous les âges de la vie.
Responsabilité interculturelle
La responsabilité interculturelle se fonde sur la compréhension acquise grâce aux compétences interculturelles dans l’examen de concepts apparentés comme le dialogue interculturel, l’éthique, la religion (y compris le dialogue entre les religions) et différentes conceptions de la citoyenneté. Guilherme a introduit cette notion en l’appliquant aux relations professionnelles et personnelles à l’intérieur d’équipes multiculturelles dans des contextes organisationnels (Guilherme, Keating et Hoppe, 2010). Holmes (2011) a élargi le champ d’application de cette notion en y incluant les choix moraux et les valeurs morales qui affectent les relations mutuelles entre individus dans le cadre de rencontres interculturelles. Ce concept, en outre, permet d’examiner et d’analyser les aspects relatifs à l’identité et aux valeurs religieuses qui guident la communication et les règles à suivre dans les contacts interculturels. Il intègre également l’idée de citoyen responsable, c’est-à-dire d’une personne capable d’intelligence critique sur le plan culturel dans la communication interculturelle.
Langage
Le terme langage désigne de manière générique la capacité humaine de transformer des sons en paroles dans un but de communication, celui de langue s’appliquant au mode de communication spécifique utilisé par les membres d’un groupe particulier. Comme d’autres éléments de la diversité culturelle, la langue peut avoir pour effet de séparer les individus ; cependant, la simple existence de nombreuses langues représente un répertoire étendu de moyens différents de résoudre des problèmes souvent identiques, notamment un vocabulaire différent pour décrire des expériences similaires (ou différentes) et des modes différents d’expression des idées, valeurs et croyances. Tout énoncé contient en fait deux éléments : le dit et le non-dit. Le non-dit inclut tout ce qui est présupposé ou implicite dans un groupe particulier de locuteurs, et ce qui est considéré comme allant de soi et ne pouvant être remis en cause. Combler l’écart entre le dit et le non-dit oblige à rendre explicites les présupposés implicites : il s’agit là d’un élément essentiel des compétences interculturelles. La langue ne sert pas seulement de moyen de communication, bien qu’elle remplisse évidemment cette fonction ; la langue doit aussi être comprise comme quelque chose qui modèle l’expérience, les idées et l’intelligence. Toute idée, en définitive, peut être exprimée dans n’importe quelle langue avec un effort suffisant, mais tous les concepts ne sont pas aussi faciles à définir dans toutes les langues. Ce qui est important pour les membres d’un groupe peut souvent être exprimé rapidement, en quelques mots de la langue utilisée par ce groupe ; en revanche, ce qui n’a pas encore acquis de pertinence pour un groupe particulier de locuteurs doit souvent être expliqué à l’aide de mots trop nombreux, sous une forme assez lourde ou qui manque de précision. Il est fréquent qu’un concept propre à une langue ou une culture ne puisse être compris dans une autre qu’au moyen d’une métaphore ou d’une description détaillée. Par exemple, lorsqu’ils ont commencé à utiliser des automobiles, les Achumawi, un groupe autochtone américain de Californie, se servaient pour désigner une batterie de voiture du mot hadatsi, qui désignait auparavant le cœur d’un être humain (de Angulo, 1950). Le nouveau est ainsi interprété à la lumière d’expériences antérieures.
Les mots utilisés par les individus ne sont pas sans importance et la volonté de découvrir ou d’inventer des mots pour remédier aux lacunes de la compréhension tient une place dans l’application concrète des compétences interculturelles. Le multilinguisme (aptitude à communiquer dans plusieurs langues) et la traduction (expression d’une même idée dans plusieurs langues) sont, par conséquent, indispensables au dialogue interculturel ; ils sont aussi l’indication de compétences interculturelles et permettent d’enrichir la compréhension que chaque groupe a des autres et de lui- même. Par contre, le monolinguisme est un obstacle à l’acquisition de compétences interculturelles puisque, dans ce cas, seul l’un des participants à l’interaction interculturelle se livre au difficile travail de compréhension de la langue de l’autre. Le simple fait d’apprendre à comprendre une autre langue ouvre une fenêtre sur un autre univers culturel, que l’ensemble complet des compétences communicationnelles interculturelles soit ensuite effectivement acquises ou non.
Liquidité
La liquidité, terme proposé par Bauman (2000) pour décrire la fluidité qui caractérise la vie moderne, rappelle que le changement est un aspect central de l’expérience humaine. La liquidité exprime un état de changement presque constant, avec les conséquences que cela implique pour l’aptitude des individus à s’adapter au changement. Il était fréquent autrefois d’envisager les cultures comme quelque chose de statique, mais de nombreux travaux dans des disciplines différentes montrent aujourd’hui que toutes les cultures évoluent avec le temps. Les contacts entre de nombreux groupes et traditions témoignent de ce changement, et attestent en outre que celui-ci ne doit être ni valorisé, ni craint en tant que tel. Appliquée aux compétences interculturelles, l’idée de liquidité rappelle la flexibilité avec laquelle les acteurs compétents gèrent leurs interactions. Des identités, des contextes, des buts et des présupposés différents doivent être systématiquement pris en compte et gérés par les acteurs dotés de compétences interculturelles dans leurs échanges réciproques. La multiplicité de ces facteurs est source d’une complexité difficile à maîtriser, mais inévitable : les individus doivent donc apprendre à y faire face, souvent par l’improvisation, en cherchant la réponse la mieux adaptée à tel moment particulier, à tel contexte ou à un « autre » spécifique. On peut également se demander si et comment les acteurs peuvent apprendre à discuter avec leurs partenaires interculturels de ce qui s’est passé, en réfléchissant conjointement à leur expérience, afin de parvenir à un niveau de compréhension supérieur. Une autre série de questions concerne l’aptitude des personnes concernées à improviser, bien ou mal, ainsi que leur capacité à tirer les leçons des échanges réussis et leur volonté ou non de partager avec d’autres ce qu’elles ont appris.
Reflexivité
La réflexivité désigne l’aptitude à mettre à distance son expérience propre afin d’y réfléchir consciemment en examinant ce qui a lieu, ce que cela veut dire et la manière d’y répondre (Steier, 1991). Avec la diversité culturelle, tous les groupes, quels qu’ils soient, apprennent à voir qu’il existe plus d’une manière de faire les choses et que leurs présupposés ne sont pas universels. Il est naturel que chaque culture enseigne à ses membres que sa manière de faire les choses est la meilleure : en effet, qui voudrait appartenir à une culture reconnaissant comme supérieures d’autres manières de faire que la sienne propre ? Cependant, avec le rapprochement des cultures dû à la modernité, l’aptitude à réfléchir, prendre du recul et voir que sa propre tradition ne constitue que l’une des réponses possibles à des problèmes communs à tous les hommes est devenue une réalité essentielle. Frye a mis en avant le terme transvaluation pour désigner « l’aptitude à envisager les valeurs sociales contemporaines avec le détachement de celui qui a appris à les rapporter dans une certaine mesure aux possibilités infinies offertes par la culture » (1957, p. 348). Todorov a précisé cette définition en invoquant le « retour vers soi d’un regard informé par le contact avec l’autre », puis appelé à une « hybridation des cultures » (1987, p. 17) ; il soutient que la transvaluation, en tant que passage du sujet individuel à un monde plus large, est à la fois l’expression et un facteur du progrès. Autrement dit, apprendre à connaître l’autre permet non seulement de se familiariser avec sa culture mais incite aussi à examiner la sienne propre.
Résilience
La résilience est une caractéristique essentielle à prendre en considération lorsque l’on examine les cultures dans leur rapport à la tradition et à la modernité. Dans nombre de discussions, l’idée que les traditions doivent être préservées ou respectées est assimilée à une volonté de résister aux vents du changement nés de la modernité. Ce point de vue, cependant, est inexact, car il néglige le fait que les cultures évoluent constamment, et parviennent à créer une combinaison unique de tradition et d’innovation lorsqu’elles se trouvent devant une situation sans précédent. C’est pourquoi le débat ne devrait pas se focaliser sur la préservation de cultures conçues comme monolithiques et immuables, ni sur le changement envisagé comme la destruction irrémédiable de leur passé et de leur mémoire, mais plutôt sur la manière dont ces cultures peuvent maintenir un espace de résilience propre, c’est-à-dire sur leur capacité endogène à organiser un débat interne entre tradition et changement. Lorsqu’il est imposé de l’extérieur, le changement est une forme d’hégémonie culturelle et non de créativité ; la résilience, par conséquent, doit être explorée comme voie d’accès culturellement authentique à la modernité. La résilience, qui a été analysée au niveau individuel (Cyrulnik, 2009) en relation avec « l’aptitude à l’hybridation, la flexibilité et la créativité » (Bird, 2009), est aussi liée au « développement des capacités » (Sigsgaard, 2011) au niveau collectif.
Universalité
L’universalité vise les éléments qui sont communs à toutes les cultures, comme le fait d’avoir une langue, ou d’avoir des valeurs et des croyances. La voie est étroite, bien entendu, entre le présupposé de l’universalité et le respect des différences culturelles, qui sont inévitables, entre les groupes. Appiah (2006) propose de définir le cosmopolitisme comme « l’universalité + la différence » (p. 151), en rapprochant ainsi des idées en apparence contradictoires. Les droits culturels désignent les droits des individus liés à l’appartenance à une culture comprenant des éléments distincts de ceux de toute autre culture, et ils constituent un « cadre propice à la diversité culturelle » (UNESCO, 2002, p. 13). Les droits culturels sont une partie intégrante des droits de l’homme ; ils figurent en très bonne place sur l’agenda international depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et ont été renforcés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966. Plus récemment, la Déclaration de l’UNESCO de 2001 sur la diversité culturelle a reconnu le droit de toutes les personnes à « participer à la vie culturelle de son choix et exercer ses propres pratiques culturelles, dans la limite qu’impose le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (article 5). Dans certains cas particuliers, spécialement en relation avec les peuples autochtones, les droits culturels prévoient le droit d’un groupe de contrôler son patrimoine ou ses savoirs propres, par exemple les connaissances ethnobotaniques traditionnelles qui sont parfois exploitées par des entreprises multinationales sans que soient indemnisés les détenteurs de ces savoirs (Buck & Hamilton, 2011 ; Greene, 2004).
Valeurs, croyances et attitudes
Les valeurs, croyances et attitudes, qui sont des aspects essentiels de la culture, sous-tendent toute la communication avec autrui, que ce soit à l’intérieur d’une même culture ou entre des personnes appartenant à des cultures différentes. On peut les distinguer en considérant que les valeurs s’entendent comme vraies ou fausses, que les croyances sont supposées bonnes ou mauvaises, et que les attitudes sont des caractéristiques individuelles comme la curiosité et l’intérêt pour autrui (Condon et Yousef, 1975). Valeurs, croyances et attitudes sont le plus souvent tenues pour acquises : elles ne sont pas normalement remises en cause, simplement acceptées par les membres d’un groupe culturel comme des présupposés fondamentaux rarement explicites, apprises pendant l’enfance et considérées comme des vérités d’évidence par les adultes. Des difficultés d’interaction importantes surgissent lorsque les acteurs découvrent que leurs présupposés ne sont pas les mêmes, d’où des malentendus et des conflits, même dans le cadre de dialogues ou d’interactions interculturelles bien intentionnés. Les attitudes pertinentes aux fins des compétences interculturelles sont : le respect, l’empathie, l’ouverture d’esprit, la curiosité, la prise de risques, la flexibilité et la tolérance de l’ambigüité5. Dans la même veine, l’UNESCO met l’accent sur les valeurs communes, les interactions profondes et les emprunts transculturels qui ont eu lieu dans le passé ou qui se poursuivent aujourd’hui entre traditions culturelles et spirituelles différentes, et sur le besoin de promouvoir la connaissance réciproque entre ces traditions, afin de parvenir au respect du pluralisme, des croyances et des convictions et de favoriser le développement de relations harmonieuses au sein de sociétés pluriculturelles et plurireligieuses.