Culture : une ressource renouvelable par excellence pour lutter contre le changement climatique
Le temps presse pour enrayer l’impact dévastateur du changement climatique. Selon l’Organisation météorologique mondiale, 2020 sera l’une des trois années les plus chaudes depuis le début des relevés des températures. Les océans continuent de se réchauffer et le niveau de la mer de s’élever, ce qui constitue une menace particulière pour les établissements côtiers et les petits États insulaires en développement (PEID). La fréquence et la gravité des catastrophes, tels que les sécheresses, les inondations et les cyclones, sont croissantes et peuvent entraîner une pénurie de nourriture et d’eau. L’impact sociétal est particulièrement aigu avec l’émergence de conflits potentiels, de bouleversements économiques, de migrations répétées et la disparition entière de modes de vie de nombreuses communautés.
L’année 2020 devait être une année « charnière », marquant le cinquième anniversaire de l’adoption de l’Accord de Paris, par lequel 195 pays et l’Union européenne ont convenu de limiter les émissions de gaz à effet de serre et de maintenir l’augmentation de la température mondiale à moins de 1,5°. La pandémie de COVID-19 a entraîné le report de la 26e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) – COP 26 – (qui devrait avoir lieu en novembre 2021 au Royaume-Uni), et de la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité COP 15 (qui devrait se tenir en mai 2021 en Chine). Néanmoins, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a appelé à une « action audacieuse en faveur du climat », lors du sommet des Nations Unies sur l’action climatique en septembre. En outre, son rapport fait référence, pour la toute première fois, aux effets du changement climatique sur le patrimoine culturel sous toutes ses formes (du patrimoine bâti au patrimoine naturel et au patrimoine vivant). Il confie à l’UNESCO le rôle de chef de file pour mener des recherches, des analyses et des actions visant à sensibiliser les États membres et à les mobiliser pour intensifier les efforts de protection et de conservation, ainsi que les mesures concertées d’atténuation et d’adaptation.
Le changement climatique relève d’une question complexe, à la croisée de la science, de l’éthique, de la société, de l’éducation et, bien sûr, de la culture – une dimension trop longtemps sous-estimée. Si le changement climatique a un impact profond sur la culture – destruction du patrimoine, perturbation des moyens de subsistance des artistes et dévastation potentielle des modes de vie traditionnels – celle-ci peut également apporter des enseignements inestimables aux stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Tant l’atténuation – réduire ou prévenir les effets du changement climatique – que l’adaptation – s’adapter à ses conséquences désormais inévitables – sont les piliers essentiels de la politique climatique à l’échelle mondiale. L’UNESCO, en tant que seule agence des Nations Unies disposant d’un mandat interdisciplinaire reliant la culture, les sciences et l’éducation, est particulièrement bien placée pour faire valoir le pouvoir transformateur de la culture.
L’UNESCO a ainsi intensifié ses efforts en s’appuyant notamment sur sa stratégie globale pour l’action climatique 2018-2021. L’Organisation a par ailleurs récemment mis en place un groupe de réflexion sur la culture et le changement climatique, réunissant des experts du monde universitaire, des organisations internationales et de la société civile, dans la perspective d’explorer des moyens concrets de renforcer le rôle du patrimoine culturel et naturel, du patrimoine culturel immatériel et de l’économie créative, dans la lutte contre le changement climatique. Plus largement, la sphère culturelle est également un espace de dialogue, englobant diverses visions du monde et valeurs culturelles. La culture entraîne des changements sociétaux à travers les musées, centres culturels, villes, écoles et communautés traditionnelles. Raison pour laquelle l’UNESCO redouble également d’efforts dans ces domaines. Compte tenu de l’urgence de la crise climatique, il n’a jamais été aussi important de déployer la culture comme une ressource essentielle.
Les dés sont pipés : le changement climatique désempare la culture
Depuis plusieurs années, nous réalisons le constat croissant que le changement climatique met progressivement la culture en péril. Plusieurs sites du patrimoine mondial – des rizières en terrasses des cordillères des Philippines aux îles Galápagos en Équateur, des monuments néolithiques des îles Orcades au Royaume-Uni à la forêt des Cèdres de Dieu (Horsh Arz el-Rab) au Liban – portent déjà les séquelles de l’évolution des conditions climatiques. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a également défini le changement climatique comme la plus grande menace pour les biens du patrimoine mondial naturel dans son 3e rapport « Perspectives du patrimoine mondial » récemment publié. Celui-ci souligne qu’un tiers des 252 sites du patrimoine mondial naturel sont menacés par le changement climatique. Les changements climatiques exercent également une forte pression sur le patrimoine naturel. En 2018, une série d’incendies a détruit plus de 80 000 hectares de forêts et de prairies dans le parc national du Mont Kenya, soit près de la moitié de la superficie de ce site du patrimoine mondial de l’UNESCO. De nombreux sites marins du patrimoine mondial sont des récifs coralliens tropicaux dont l’exposition aux phénomènes de blanchiment ne cesse d’augmenter, à tel point que les experts avertissent que les récifs coralliens risquent de disparaître d’ici à 2100 si les émissions de CO2 ne sont pas réduites de manière drastique. L’augmentation de la température et de l’acidification des océans constitue également une menace pour la biodiversité marine, ainsi que pour les sites du patrimoine culturel subaquatique.
Les sites culturels du patrimoine mondial sont également exposés à cette menace, car de nombreux bâtiments et sites anciens ont été conçus pour un climat local spécifique. Environ 130 sites, comme les grottes d’Elephanta en Inde, sont menacés par l’élévation du niveau marin, et les changements survenus dans la mer Adriatique ont déjà endommagé des centaines de bâtiments à Venise, en Italie. Les bâtiments et monuments historiques sont vulnérables aux dommages liés au climat en raison des épisodes de vents et de pluies extrêmes, tandis que les fondations des bâtiments peuvent être sapées et les fluctuations climatiques à l’intérieur des bâtiments peuvent provoquer moisissures, détériorations et infestations d’insectes. Les changements de température et les interactions avec l’eau sont particulièrement importants pour l’architecture en terre. De nombreux sites de ce type – la mosquée de Djenné au Mali n’en est qu’un exemple – sont menacés par le changement climatique. En outre, les conditions de conservation des preuves archéologiques peuvent être dégradées en raison de l’augmentation de la température du sol. Depuis 2010, le Comité du patrimoine mondial a examiné au moins 170 rapports sur l’état de conservation de 41 biens du patrimoine mondial dans 33 pays afin de surveiller spécifiquement l’impact du changement climatique sur la valeur universelle exceptionnelle de ces sites dans le cadre du processus statutaire de suivi réactif.
Le changement climatique bouleverse également les aspects socioculturels de nos sociétés. De nombreuses communautés à travers le monde ont été contraintes de changer leurs modes de vie, de travail, de culte et de socialisation, que ce soit dans les petits villages traditionnels ou dans les grandes mégapoles de plus de 20 millions d’habitants. Les pays les moins avancés (PMA) et les petits États insulaires en développement (PEID) comptent parmi les plus vulnérables et sont souvent les plus directement exposés aux conséquences du changement climatique. Les ravages causés par les cyclones et les ouragans ces dernières années dans les PEID des Caraïbes et du Pacifique sont particulièrement emblématiques des phénomènes météorologiques extrêmes qui menacent les modes de vie traditionnels des communautés. Ce ne sont pas seulement les connaissances traditionnelles de ces sociétés, développées au fil des siècles par l’interaction avec leur environnement naturel, qui sont menacées. L’ensemble des aspects de leur patrimoine culturel immatériel – valeurs, traditions orales, arts du spectacle, pratiques sociales et événements festifs – sont en péril. L’affaiblissement de la capacité des communautés à tirer parti de leurs ressources culturelles pour lutter contre le changement climatique et ainsi à s’adapter à ses conséquences pourrait mener à leur disparition, qui serait une perte pour l’humanité tout entière. Dans des cas extrêmes, des communautés entières pourraient être contraintes d’émigrer en abandonnant leur patrimoine culturel, tant bâti que vivant.