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Roha, la merveilleuse

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© UNESCO/Jasmina Sopova

Perché à 2 500 mètres d’altitude dans la région d’Amhara, le petit village de Lalibela, renferme depuis huit siècles un étonnant joyau d’architecture religieuse. Ses églises faites d'un seul bloc de pierre lui ont valu l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial en 1978.

par Jasmina Šopova

Le village s’appelait Roha, « la merveilleuse», du temps où le très pieux roi Gebre Mesqel Lalibela y fit creuser dans le roc onze églises monolithiques, reliées entre elles par un dédale vertigineux de tunnels, aux parois percées de cavités d’où déborde parfois le pied de quelque saint qui repose là depuis plusieurs siècles.

Les morts et les vivants ont l’habitude de se côtoyer dans ce lieu où rien n’est impossible – y compris de tailler dans un seul bloc de pierre une église entière, avec un portique, des nefs, des voûtes, des étages, des fenêtres… Beta Medhane Alem, la plus grande des 11 églises inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, repose sur 34 piliers formant un rectangle de 34 mètres sur 24. Elle est quasiment aussi large que Notre Dame de Paris !

Quant à la double église Golgotha-Mikaël, également appelée Debre Sinaï et Golgotha, elle offre l’une des vues les plus spectaculaires. Le roi, à qui le village doit aujourd’hui son nom, y repose en paix, juste à côté du tombeau d’Adam… l’ancêtre de toute l’humanité, selon la Bible. À Lalibela, il suffit d’un pas pour tomber de l’histoire dans le mythe.

Un peu à l’écart de ce nid d’églises tressé sur le flanc d’une colline, Saint-Georges, seule dotée d’un système de drainage, est probablement la plus récente des églises creusées sur ordre du roi Lalibela. On la voit de loin surgir du sol dans une immense fosse, avec son toit sculpté de croix imbriquées les unes dans les autres. On se sent tout petit au pied de l’édifice cruciforme à 12 façades, hautes de 12 mètres. Ses trois étages sont délimités de l’extérieur par des corniches et des fenêtres. « Celles du bas sont aveugles, car cet étage appartient à Noé », explique Muchaw, un des guides officiels du site. « C’est pour que l’eau du déluge n’entre pas », ajoute-t-il, sourire aux lèvres.

Pour accéder à un autre ensemble d’églises qui donnent l’impression de se chevaucher les unes les autres, on passe à côté d’un ruisseau au nom retentissant de Jourdain, qui coule au pied d’une autre colline, couronnée d’une clochette suspendue à un arbre sec – le Mont Thabor –, et on traverse la grotte de Bethléem. La Palestine, en miniature !

D’après l’une des nombreuses et divergentes légendes qui se sont tissées autour du roi Lalibela, c’est à son retour d’exil à Jérusalem qu’il aurait fondé Roha, destinée à devenir une nouvelle ville sainte en Afrique.

Lalibela menacée

Elle accueille quelque 140 000 pèlerins par an, entre Noël et le Tikmet (Épiphanie), explique Belete, sans doute le personnage le plus populaire du coin. Il dirige l’équipe d’une vingtaine d’employés de l’Office du tourisme et de la culture, dans ce village de 12 000 habitants, situé à 600 km au nord d’Addis Ababa. Pour Belete, le tourisme est un gage d’avenir : « Entre juillet 2007 et mars 2008, plus de 8 000 touristes se sont logés dans nos 12 hôtels », affirme-t-il.

Son Office, financé par le conseil régional d’Amhara, bénéficie également de contributions du gouvernement central, de l’Autorité pour la recherche et la conservation du patrimoine culturel (ARCCH). Des projets de conservation du site de Lalibela sont par ailleurs soutenus par l’Union Européenne, l’UNESCO et plusieurs ONG, dont la plus importante est Plan International.

Si l’un des principaux soucis de l’UNESCO est l’infiltration des eaux pluviales qui dégrade les églises, le principal souci de Belete est la population pauvre qui vit sur le site et le détériore. Il est impératif de délocaliser le plus rapidement possible ces 270 familles, estime-t-il. À l’heure actuelle, il n’a pas encore de projet précis et ne connaît pas le coût d’une telle opération, mais il est optimiste. Pour ce jeune cadre dynamique, l’image d’une Lalibela propre et bien entretenue est essentielle. « Je fais passer ce message dans les cinq écoles du village et ça marche », dit-il fièrement.

Il est également très préoccupé par l’état des 24 églises dans les environs de Lalibela, dont 14 ne bénéficient d’aucune mesure de protection. « Elles devraient toutes être inscrites sur la Liste du patrimoine mondial », affirme-t-il, et pour m’en convaincre, il me propose de faire un tour .

L’une d’entre elles se distingue par un décor naturel époustouflant. Elle a été construite par un prédécesseur de Lalibela, le roi Imrahana Kirstos.

Les mystères d’Imrahana Kirstos

Plus de 40 minutes de route, pour parcourir les 12 kilomètres qui séparent Lalibela d’un hameau très pauvre, au pied d’une montagne. Puis, une demi-heure d’escalade, sans que rien n’annonce la présence humaine dans les hauteurs… Excepté quelques femmes revenant du marché qui se trouve, sur l’autre versant de la montagne.

À mi-flanc, nous quittons la piste et, soudain, une immense falaise se rue sur nous. Elle surplombe le sol comme un épais nuage pétrifié depuis des siècles. Une petite église se niche dans son ventre, mais on la devine plus qu’on ne la voit. Elle est protégée par une haute muraille, nouvellement construite.


© UNESCO/Jasmina Sopova

Dans l’enceinte du sanctuaire, on se croirait sur une scène de théâtre : la lumière du jour n’éclaire qu’une face de l’église et du petit palais royal, faits de briques et de terre, et va en déclinant, sur quelque deux cents pas, s’engouffrer dans une profonde obscurité à l’autre extrémité de la grotte. De superbes tambours liturgiques trônent sur un sol recouvert de paille. Cette dernière est étalée sur des peaux d’animaux, qui reposent pour leur part sur des ossements. « L’église a été construite sur de l’eau », explique le prêtre, en soulevant le petit couvercle pratiqué dans le sol à l’intention des incrédules.

Derrière l’église, la dépouille de son architecte gît à même le sol, enveloppée de draps multicolores, à proximité du sarcophage du roi saint et de la tombe de sa sainte épouse, qui ne lui a pas donné d’enfants. « Leur union fut purement spirituelle », raconte le prêtre, avant de se lancer dans un récit incroyable de la vie de ce roi, qui recevait chaque jour la visite des archanges Gabriel et Raphaël, apportant de la nourriture pour les 5 740 pèlerins venus des quatre coins du monde admirer son œuvre et sa sagesse. Étonnante précision des chiffres.

Après m’avoir montré la croix que Dieu lui-même a forgée pour la donner à Imrahana Kirstos, ainsi qu’un beau triptyque peint par le roi en personne, le prêtre me laisse aller découvrir le fond de la grotte. Le temps de m’adapter à l’obscurité, j’aperçois le large sourire d’un squelette, étendu dans un long baquet en bois. Le temps de me ressaisir, je m’aperçois que devant moi s’étale un immense ossuaire. Il pourrait bien contenir les restes de 5 740 personnes…

Que s’est-il passé dans cette grotte ? De quelle époque datent-ils vraiment, ces ossements ? Les réponses restent floues. Mais, il faut croire qu’à Lalibela, il suffit d’un pas pour tomber de l’imaginaire dans le réel.